The Posthumous Memoir of Ignaz Venetz


This memoir was published by the Swiss Natural Sciences Society, shortly after the death of Ignaz Venetz, to honor his great contribution to science.

For background information, please see part 1 of this article -
The Posthumous Memoir Of Ignaz Venetz
 and 
Ignaz Venetz - Climate Change Pioneer.

As with the 1821 paper, my plain ASCII transcription retains the original pagination, using rows of dots as page breaks.

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    Memoire sur l'extension des anciens glaciers

    renfermant quelques explications sur leurs effets remarquables

    M. Venetz, père, ingénieur

    Ouvrage posthume rédigé en 1857 et 1858
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    Le présent Mémoire de la main de Mr. l'ingénieur Venetz, père, est une œuvre posthume et ne paraît ni terminé, ni même complet dans les parties existantes. Malgré ces défectuosités, la Commission de rédaction a cru agir suivant les intentions de la société générale en l'admettant dans ses publications. Elle s'est surtout laissé guider par deux motifs: d'abord, par un sentiment de piété envers le fondateur de la belle théorie des transports erratiques, laquelle, comme peu d'autres, a acquis droit de bourgeoisie en géologie et a servi de point de départ à une quantité d'autres recherches importantes; en second lieu, parce qu'il est toujours intéressant, même à un degré plus avancé de la science, de connaître l'ensemble des idées d'un homme, qui a passé sa vie au milieu des grands phénomènes qu'il décrit et en a fait un sujet constant de recherches et de méditations. En effet, comme au début de sa carrière, Mr. Venetz se fit connaître au monde savant par son travail sur les anciennes moraines, de même, à la fin d'une longue vie vouée à une activité pratique, il revient à son sujet favori et résume dans le travail présent l'ensemble de toutes ses observations. Certes, la voix d'un aussi fidèle disciple de la science a droit à se faire entendre.

    La  Commission de rédaction.

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    AVANT-PROPOS.

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    La première partie de ce Mémoire a été élaborée pour être lue à la réunion de la Société d'histoire naturelle, tenue à Berne en 1858.
    L'intention de l'auteur était, de donner à ce travail une extension beaucoup plus grande, d'entrer même dans des explications sur les causes de ces grands phénomènes, si la mort n'était pas venue l'enlever malheureusement en Avril 1859.
    Il est aussi à regretter que Mr. Venets n'ait pas eu plus de temps disponible pour s'occuper de cette partie si intéressante, mais des circonstances hors de sa volonté, des injustices commises à son égard par un Gouvernement riche de notre Suisse, l'ont contraint à un travail assidu qui lui laissait peu d'instants pour s'adonner à la Science, comme on pourra le voir plus tard dans sa Notice biographique.
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    PREMIÈRE PARTIE.

    § 1.

    Dans sa séance tenue à Berne, en 1816, la Société helvétique des sciences naturelles s'est occupée pour la première fois de l'étude des glaciers.
    C'est à un mémoire composé à ce sujet, et lu par feu Mr. de Charpentier au sein de cette société, que je dus mon admission comme membre.
    Dans ce mémoire j'avais démontré de quelle manière les corps tombés dans des crevasses de glaciers reparaissaient à la surface dans un temps plus ou moins long en aval du point de la chute.
    L'explication de ce phénomène était contraire à l'hypothèse jusqu'alors admise, que la fonte des glaciers s'opérait principalement par la base; car il a été démontré, au contraire, que c'est presque uniquement à leur surface.
Dans ce mémoire j'ai également expliqué que le mouvement principal des glaciers provenait de l'augmentation du volume des eaux infiltrées et congelées dans les innombrables fentes et fissures qui les traversent en tous sens.

    §  2.

    Dans une autre réunion qui a eu lieu à Berne, en 1822, on a fait lecture d'un second mémoire que j'avais produit et qui traitait des glaciers.
    J'ai cité des faits nombreux tendant à prouver qu'à une époque antérieure à la nôtre le climat de nos Alpes était beaucoup plus élevé que maintenant, mais qu'il avait été précédé d'un autre qui, au contraire, était bien inférieur à celui de nos jours.
    Cette dernière assertion fut appuyée par l'indication d'anciennes moraines situées dans des contrées éloignées les unes des autres et à des distances considérables de l'extrémité inférieure des glaciers actuels.
    L'assemblée a daigné couronner ce mémoire.  .
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    §  3.

    Encouragé par tant de succès, j'ai redoublé de zèle dans mes observations et j'ai fait de nouvelles recherches pour trouver les limites de l'extrême extension des glaciers anciens.
    Mais sans en apercevoir les premières, je fus conduit pas à pas à la persuasion que le transport des blocs erratiques, qu'on rencontre sur le Jura, est dû à l'extension immense des glaciers et que ce sont eux qui les ont fait passer à des distances si éloignées sur les plaines, au-dessus des monts et au travers des profondeurs qui se sont converties en lacs.
    Je communiquai ma manière de voir à Mr. de Charpentier qui, d'abord, rejeta vivement cette théorie.
    "La terre s'est refroidie, disait-il ; au lieu d'acquérir de la chaleur, elle ne pouvait par conséquent avoir des glaciers si étendus."
    Quoique ce savant géologue ne voulut pas accéder à mon opinion, je ne me décourageai pas. Je le conduisis en promenade sur des accumulations de terrain erratique et je recommençais la discussion en lui demandant la cause de la formation de ces accumulations de terrain erratique, et lorsque je lui eus expliqué la constitution des différentes couches stratifiées évidemment déposées dans l'eau, mais renfermant des blocs erratiques, il approuva ma manière de voir.
    Ce dépôt, véritable diluvium glaciaire, est situé à l'orient du hameau des Posses, près des salines de Bex, entre deux vallons. Il présente une paroi verticale du côté de l'Ouest.

    §  4.

    Le 22 Juillet 1829, à la session de la Société helvétique au Grand-St-Bernard, j'ai expliqué que les glaciers avaient autrefois des extensions immenses et que ce sont eux qui ont répandu sur divers points des Alpes du Jura et du Nord de l'Europe les blocs énormes, en formant des moraines.
    En 1834, Mr. de Charpentier a annoncé à la Société réunie à Lucerne que je travaillais à un mémoire sur l'extension des glaciers, en donnant quelques détails à ce sujet.
    Mr. Agassiz, élu président de la Société pour 1835, a séjourné pendant 6 semaines à Salaz près de Devens où demeurait  Mr. de Charpentier.
    Ce dernier lui fit prendre connaissance des différents terrains des environs si intéressants pour cette nouvelle théorie.
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    §  5.

    Mes occupations ne me permettant pas de continuer mon mémoire,  Mr. de Charpentier voulut s'en charger.
    Son essai sur les glaciers a paru en 1841, quelques temps après les études faites dans le même but par Mr. Agassiz et publiées en 1840.
    On n'ignore pas le retentissement et les controverses que ces ouvrages ont causé. On sait aussi que la théorie glaciaire est aujourd'hui généralement admise.

    §  6.

    Des géologues distingués, qui partageaient la même opinion, ont rencontré au pied des Alpes, aussi bien qu'en Scandinavie et dans les régions du Nouveau-monde, des faits qui, à leur manière de voir, ne sont pas une production d'anciens glaciers, tandis que je suis porté à croire, d'après leur description, qu'avec une étude plus approfondie des localités et des différentes phases de l'extension des glaciers, on parviendra peut-être à trouver la cause de la formation particulière de ces corps.
    Sans avoir la prétention de donner une explication suffisante de ces phénomènes, d'autant plus que les contrées, dont il s'agit, me sont entièrement inconnues — j'engage les géologues à examiner ces faits sous le point de vue dont je parlerai ci-après, et de voir si de cette manière leur existence peut être expliquée, sans recourir à un autre agent que celui des glaciers.

    §  7.

    Il y a aussi des géologues qui n'admettent pas que les terrains erratiques aient été transportés par des glaciers, mais attribuent ce transport à de violents courants bourbeux.
    Cette manière de voir a été vivement réfutée par Mr. de Charpentier, cependant je ne puis m'empocher d'en dire encore quelques mots.

    §  8.

    D'abord, sans admettre la théorie glaciaire, il serait difficile d'expliquer la formation des amas d'argile et de limon répandus en grande quantité sur les flancs des montagnes, quelquefois même sur des pentes bien raides.
    Ces dépôts, généralement fins à la base, sans aucun mélange de pierres, sont souvent recouverts de sable, sur lequel reposent des graviers mêlés de cailloux et de blocs erratiques.
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    §  9.

    Comment expilque-t-on aussi le dépôt d'argile mêlé de gravier qui, d'après de Saussure, constitue au Travers, près de Genève, le fond du lac, ainsi que la couche d'argile mêlée de cailloux roulés et de quelques blocs erratiques qui, vers le pont du Rhône près de Mœrell, constitue le fond du cours de ce fleuve.
    Si les défenseurs des courants d'eau peuvent expliquer ces phénomènes d'une manière satisfaisante, ainsi que démontrer la manière dont la pierre erratique près de la poudrière de Sion est venue dans la position extraordinaire dans laquelle elle se trouve — alors leur théorie pourrait être mise en discussion.

    §  10.

Voici la description donnée par Mr. de Charpentier dans son essai (page 146 et 147) de cette pierre, dont le dessin se trouve planche 6 et 7 de cet ouvrage.
    "Il a (le gros bloc) une forme irrégulièrement arrondie; quoique sa surface ne présente pas de marques évidentes de frottement, son diamètre est d'une dizaine de  pieds. Il se trouve presque sur le bord d'une pente excessivement rapide et n'est appuyé que par trois points. Un des appuis est un coin saillant de la roche en place qui est un schiste talqueux fort quartzeux."
    "Le second est également un bloc de schiste talqueux fendu do haut en bas et évidemment détaché de la roche en place. Enfin, le troisième appui est un grès quartzeux caractérisé par quelques grains de quartz rosé et que je ne connais en place qu'à cinq lieues en amont de Sion sur la rive gauche du Rhône et en face de la ville de Loëche."
    "Le bloc calcaire est pareillement fendu dans toute sa hauteur; l'écart entre les deux moitiés n'est que de quelques pouces. La situation de ce bloc sur le bord d'une sorte de précipice, la manière dont il est retenu en place et la direction verticale des ruptures, soit du gros bloc lui-même, soit de l'un do ses appuis, toutes ces circonstances réunies peuvent prouver jusqu'à l'évidence qu'il n'a pas été placé là par un courant, ni brisé par un choc horizontal; mais qu'il est tombé sur la place où il se trouve et que sa chute l'a fendu, en cassant l'un des blocs qui le soutiennent."
    J'essaierai  d'expliquer la manière  qui a fait donner a ce bloc cette position.
    Les glaciers, en rencontrant dans leur mouvement progressif des monticules de roc solides, se relèvent un peu contre cet obstacle, en crevassant sur eux.
    Le glacier de Fiesch nous en fournit un exemple bien frappant vers son extrémité inférieure où un rocher saillant, au milieu de la vallée, le partage en deux.
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    Il est donc naturel que dans le moment où l'ancien glacier occupait encore la plaine de Sion et dépassait notablement en hauteur le monticule de la poudrière, la pierre grès-quartzeuse soit tombée la première dans une crevasse de glacier et que le bloc calcaire l'ait suivi.
    La violence du choc provenant de cette chute, détacha un fragment de roc en le partageant en deux, et fendit le bloc lui-même par le milieu.
    Le tout a glissé un peu, mais les parois de la fente du glacier qui se rétrécissaient en aval l'ont arrêté dans le mouvement de répulsion qui, sans cette circonstance, aurait fait tomber de cette position singulière les deux moitiés du bloc calcaire.

    §  11.

    La théorie glaciaire explique également les dépôts mentionnés aux articles 8 et 9. Ces derniers sont des moraines dont je ferai mention plus tard.  Les précédents sont de véritables diluviums glaciaires *).

    §  12.

    MM. Charles Martin et B. Gastoldi, dans leur essai sur les terrains superficiels de la vallée du Pô, aux environs de Turin, comparés à ceux de la plaine Suisse, — divisent ces terrains en formations glaciaires et en formations aqueuses **).
    Dans les formations glaciaires ils comprennent les anciennes moraines et les terrains glaciaires éparpillés; dans les formations aqueuses, le diluvium alpin sans fossiles, les alluviums du pliocène, et les couches marines qui les supportent.
    Ils attribuent la formation aqueuse à une ère géologique plus ancienne que la période des anciens glaciers, disant que le diluviura alpin, étant antérieur à la période glaciaire, n'a peut-être pas de rapport avec elle.

    §  13.

    M. E. Desor dans son mémoire sur les phénomènes erratiques de la Suisse comparés à ceux du Nord de l'Europe et de l'Amérique ***), fait différer le phénomène erratique de la Scandinavie de celui des Alpes en ce qu'il embrasse une période considerable,
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     *) Essai sur les glaciers, p. 63 et suivantes.
   **) Bulletin de la Société géologique de France, 2de série, tome VII p. 554, séance du 20 Mai 1850.
 ***) Actes de la Société helvétique des sciences naturelles 1852,  p. 97.
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dans laquelle, selon lui, on peut distinguer plusieurs grandes phases ou époques très marquées, savoir :
    1. L'époque du polissage des rochers, pendant laquelle la Scandinavie était probablement inondée comme à présent;
    2. l'époque des Osars, pendant laquelle la Scandinavie s'est trouvée recouverte par les eaux de la mer jusqu'à une hauteur considérable;
    4. l'époque du transport des blocs superficiels, qui termine la période des Osars et à la suite de laquelle la Scandinavie s'est de nouveau immergée et a pris ses contours actuels.
    "En Suisse au contraire, dit-il, on est habitué à envisager les divers phénomènes erratiques comme l'œuvre d'un seul agent (soit à un courant, soit à un vaste glacier) qui aurait tout à-la-fois poli les rochers, entassé les dépôts erratiques et transporté les blocs dans leur position actuelle."

    §  14.

    Je suis de l'avis que ces différents résultats appartenaient à la même cause que le diluvium alpin, aussi bien que les anciens glaciers qui ont poli des rochers, formé des moraines, y compris les Osars, et transporté les blocs erratiques, sont des productions de cette cause; mais qu'elles n'ont pas été formées à-la-fois et qu'au contraire, leur formation a été séparée par des intervalles d'une longue série d'années.

    §  15.

    En effet, si l'on rencontre une roche polie sur laquelle se trouve une moraine avec des cailloux ou des blocs erratiques, on peut prouver que cette roche a été atteinte deux fois par un glacier: la première, lorsque la roche fut soumise à la polissure; la seconde, quand la moraine fut déposée.

    §  16.

    Les glaciers ne peuvent moutonner, user, frotter et rayer les roches sans avoir une épaisseur considérable.
    Ces résultats ne s'effectuent que sous un grand poids en mouvement.

    §  17.

    Pendant que les glaciers sont en-progrès, ils enlèvent tout ce qu'ils rencontrent de mobile sur leur passage.
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    On n'en peut excepter que des graviers déposés par les torrents qui en sortent, sur lesquels leur extrémité inférieure glisse quelquefois en avançant, et des moraines profondes, sur lesquelles leur mouvement a cessé par une cause quelconque.
    Ces masses glacées ne peuvent donc déposer de matériaux sur la roche qu'elles usent, mais elles les poussent plus loin et en forment la moraine terminale avant de rétrograder.
    Mais cette moraine ne se forme que bien lentement.
    En effet, lorsqu'au bout d'une série d'années froides et humides la température se relève au point que les glaciers commencent à diminuer de volume, cette diminution s'effectue premièrement sur les hauts et bas névés pendant que les glaciers, proprement dits, avancent encore en longueur.
    Par la diminution des névés, les glaciers se découvrent de plus en plus en devenant plus compactes et moins mobiles.
    Dès que la partie supérieure de ces masses glacées a diminué au point que leur poids et la congélation des eaux infiltrées ne peuvent plus à leur extrémité inférieure remplacer l'ablation, les glaciers rétrogradent.

    §  18.

    Mais au terme d'une extension glaciaire, la température ne se relève pas d'une manière uniforme et permanente.
    Au contraire, il survient des années où la moyenne de la température devient vaccillante.
    Plusieurs années chaudes sont quelquefois succédées par d'autres qui remettent de nouveau les glaciers en progrès.
    Pendant cette vaccillation dans la moyenne de la température, les glaciers par leurs mouvement continuel, remplaçant plus ou moins l'ablation, se déchargent près qu'entièrement des débris qu'ils transportent, et cela au-delà de la roche qu'ils polissent; comme nous l'avons déjà dit.
    Sur cette roche ne peuvent tomber que les rares débris disséminés qu'ils laissent pendant qu'ils se retirent.

    § 19.

Les moraines, recouvrant des roches moutonnées, polies et striées, ne sont pas les seuls indices qui nous  démontrent plus d'une extension glaciaire. La quantité, l'espace

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et la position des dépôts erratiques nous en fournissent d'autres non moins concluants; surtout par la raison que les roches recouvertes de neige ou de glace n'éprouvent d'autres altérations que celles provenant du mouvement des masses glacées, accompagnées de petites quantités de limon et de sable.
    Il faut donc que les flancs des montagnes et les parois des rochers aient été de nouveau découverts, après leur ensevelissement dans la glace et leur exposition pendant une longue série d'années aux intempéries des saisons, pour pouvoir fournir par leur dislocation superficielle les matériaux qui constituent les moraines évidemment disposées à une époque postérieure à celle qu'une extension plus étendue de glaciers avait déjà formées.

    §  20.

    Quelques années avant la  publication de l'essai sur les glaciers,  j'écrivis à Mr. de
Charpentier une lettre accompagnée de la carte du Valais, sur laquelle j'avais noté trois extensions  différentes   que,   d'après  mes  observations,   les  glaciers  du   Valais devaient avoir autrefois, sans y comprendre celles qui ont produit les moraines  situées à la proximité des glaciers actuels, comme au pied de celui du Rhône.
    Je lui démontrai, dans cette lettre, que chacune de ces extensions était probablement séparée par un laps de temps assez considérable, pendant lequel les glaciers, parvenus au maximum de leurs extensions, s'étaient ensuite retirés et avancés de nouveau jusqu'à ce qu'ils fussent arrivés à un autre terme de leur progrès, mais que ce terme était survenu avant d'avoir pu parvenir à l'étendue et au volume qu'ils ont eu à l'extension précédente.
    Des observations subséquentes m'ont fait supposer, que ces alternatives ont été encore plus nombreuses et que le plus grand développement des glaciers s'est étendu sur une surface bien plus grande qu'on ne le suppose aujourd'hui.
    Ces indications ne s'étendant que sur une partie très restreinte des Alpes, je me bornerai à donner quelques détails sur les extensions démesurées, que le glacier du Rhône a eues, au moins, en quatre époques différentes séparées comme je viens de l'énoncer, par de grands laps de temps, pendant lesquels le climat était arrivé au point de réduire à une surface moindre les glaciers.
    Ces quatre extensions sont:
    1. Celle ou le glacier a dépassé le sommet du Jura. C'est le plus grand et le plus ancien développement qui, à ma connaissance, puisse être constaté par les dépôts erratiques.
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    2. Celle, où le glacier du Rhône, avec quelques affluents, a encore occupé les bassins des lacs Léman et de Neuchâtel, ainsi que tout le Sud de la Suisse.
    3.   Celle, où il est arrivé jusqu'à Noville.
    4. Enfin la dernière, qu'on doit attribuer à une époque anti-historique, est celle où le glacier du Rhône a déposé sa moraine terminale à 6400 mètres de son pied actuel, moraine sur laquelle se trouve le village d'Obergestelen.

    DEUXIÈME PARTIE.

    § 21.

    Passons maintenant aux faits d'après lesquels nous pouvons supposer ces différentes extensions des glaciers.
    Dans son essai sur les glaciers, Charpentier donna (page 159 et suivantes) la description du terrain erratique formant une lisière sur le flanc méridional du Jura et, à la page 269, il prend ce dépôt pour une moraine formée à l'époque du plus grand développement des glaciers diluviens.
    Le point le plus élevé de ce dépôt se trouve sur le Chasseron, à 1007 mètres (3100 pieds) au-dessus du niveau de la mer, soit 603 mètres au-dessous du sommet de cette montagne.
    Cependant on trouve sur le Jura des roches moutonnées, polies et striées au-dessus de ce terrain erratique.
    Ce fait est visible sur plusieurs points, surtout sur le versant Sud-Est du mont Tendre dans une propriété dominant la forêt située au-dessus du village de Mollins.
    De Saussure a déjà mentionné, aux art. 353 des voyages dans les Alpes, la rencontre de cailloux provenant de ces endroits dans l'immense amas de pierres que l'on voit au-dessous de Jougne.
    MM. Martin et Gastoldi disent: *)  "Un grand nombre de géologues suisses, MM. Studcr, Thurmann, de Charpentier, Blanchet et Guyet, ont remarqué en dehors de la ligne des blocs erratiques du versant oriental du Jura, des fragments et des blocs isolés de roches alpines des galets, du quartz, des euphotides, des protogines, des calcaires alpins anguleux et rayés, qu'on peut suivre jusque dans les environs de Lyon; car

    *)  Bulletin de la Société géologique de France, 2de série, tome VIII, page 598.
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sur les hauteurs de la Croix-Rousse Mr. Fournet a retrouvé des blocs alpins de 6 mètres cubes et des cailloux rayés identiques à ceux qui composent les moraines des glaciers actuels."
    De Charpentier lui-même, en continuant la description de la moraine du Jura, dit pag. 161 :
    "De Butet elle se dirige vers Ste-Croix, sans cependant atteindre ce village, et sans s'élever jusqu'au col de Nevreaux qui sépare le vallon de Ste-Croix du Val-de-Travers."
    "Les galets de roches alpines que l'on trouve entre ce village et ce col, appartiennent au diluvium."
    Mais ces galets se trouvent dans une couche d'argile, dans laquelle on a creusé les caves de la maison du péage située au-dessus du village du col.
    Les détritus de roches calcaires ne peuvent constituer de véritables argiles. Ce dépôt ne pouvait donc se former sur cette montagne calcaire que par des eaux découlant d'un glacier sorti des Alpes et réunies en mares dans cette localité pendant la diminution du glacier.
    Ces faits suffisent pour prouver qu'autrefois il existait un glacier diluvien, s'élevant notablement au-dessus du niveau des parties les plus élevées de la moraine du Jura, décrite par Charpentier qui a transporté des pierres alpines au-delà du faîte de cette chaîne de montagne.
    Mais les terrains erratiques, provenant des Alpes et appartenant à cette extension, ne sont encore consignés que rarement dans les écrits géologiques. On n'en connaît encore qu'en petite quantité.
    Cependant la plus grande extension des glaciers diluviens a dû répandre le plus de terrain erratique.
    Un vaste champ de recherches est encore ouvert à cet égard ; j'entretiendrai plus tard le lecteur à ce sujet.

    § 22.

    Je ferai remarquer encore qu'il existe un grand dépôt de ce terrain au pied du versant Sud-Est du Jura.
    Ce terrain provient en grande partie des roches calcaires et primitives des Alpes et de celles du Jura même.
    Son existence s'explique facilement  en  réfléchissant qu'à  l'époque où les chutes de
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neige étaient si fréquentes et abondantes dans les Alpes, les glaciers, résultant de leur accumulation, se sont avancés jusqu'au sommet du Jura; sur cette montagne il est aussi tombé assez de neige pour former des glaciers.
    Ces derniers, descendant dans la plaine avant l'arrivée de ceux des Alpes, y amenaient aussi leurs débris comme ceux des Alpes; mais au point où ils se sont rencontrés, leurs moraines frontales et profondes devaient rester en grande partie sur place, malgré la continuation de leur progrès qui, dès lors, ne pouvait s'effectuer que sur les flancs et en augmentant d'épaisseur. *)
    Ce bassin devait se remplir par suite de la poussée continuelle des glaciers des Alpes qui, descendant des régions beaucoup plus élevées que le Jura, faisaient arrêter entièrement de ce côté le progrès de ceux venant de la dite montagne.
    Il est même probable qu'à l'époque de la plus grande extension, les glaciers et les névés ayant pris une pente à-peu-près uniforme depuis leur surface, la plus élevée des Alpes jusqu'au sommet du Jura, leur faîte fut enveloppé de glace ou de névés.
   Cependant dès que le volume de la première extension glaciaire diminuait, celle diminution s'opérait dans une proportion moins forte dans la hauteur que dans les régions inférieures.
    Malgré cette différence, les véritables glaciers avançaient encore pendant que les névés diminuaient déjà, comme il a été dit ci-devant.
    Aussi longtemps que les névés des Alpes faisaient augmenter le volume du glacier et que celui du Rhône, avec ses affluents, remplissait le grand bassin Suisse jusqu'au sommet du Jura, les glaciers de cette chaîne de montagne ne pouvaient se développer que du côté de la France et, le glacier du Rhône, pénétrer dans l'intérieur de cette chaîne et transporter des pierres par-dessus les cols de Nevreau, Jougne, St.-Cergues, Dapples, et pénétrer par la gorge du cours du Rhône jusqu'à Lyon.
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    *) Lorsqu'un glacier rencontre un obstacle invincible, le mouvement progressif s'arrête à la base. — Ce ne sont que les couches intermédiaires et supérieures du glacier, excitées par le poids de la partie supérieure, qui augmentent en épaisseur et remontent contre l'obstacle.
    Le glacier de Distel dans la vallée de Saas nous en fournit un exemple.
    Ce glacier, descendant, traverse la vallée et s'appuie contre le mont opposé en formant un lac en amont de cette traversée.
    Les couches annuelles que ce glacier acquiert dans les régions supérieures se sont distinguées par la partie plus sablonneuse du dessus.
    Au moyen de ce fait on reconnaît que le mouvement de ce glacier est celui que je viens d'indiquer dans cette traversée.
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    Mais il paraît que l'augmentation s'est arrêtée avant que les blocs alpins aient pu dépasser notablement les cols du Jura.
    Aussitôt que la retraite de cette extension glaciaire embrassait toute son étendue, le mouvement de cette masse éprouvait de grands changements.
    Les eaux de pluie et de la fonte de la glace, ne pouvant presque plus s'arrêter dans l'intérieur des glaciers, formaient d'immenses cours d'eau dont on connaît encore le lit en plusieurs endroits.

    §  23.

    Le terrain erratique du Jura, si bien décrit par Charpentier, me paraît être en partie le résultat de cette première extension, mais il n'indique nulle part la hauteur à laquelle elle est parvenue.
    Au contraire, les dépôts erratiques prouvent clairement qu'ils ont été formés pendant la diminution des glaciers, soit à leur retraite.
    En effet, a partir de la plus grande élévation au-dessus de Bullet et de mont Turket *) la moraine descend du côté de l'Est pour se rapprocher de Bonvillars, Corcelles et Concise à 443 mètres au-dessus du niveau de la mer ; elle remonte ensuite dans la vallée du Travers vers Couvet et Moùtiers, à la hauteur de 740 mètres, pour redescendre ensuite et remonter de nouveau sur les Cheumont.  Enfin, elle se termine dans la plaine au-dessous de Soleure.
    Du côté de l'Ouest, à partir de Bullet, elle suit une ligne inégale en hauteur pour se rendre aussi dans la plaine de Gex au-dessous de 609 mètres d'élévation.
    Quoique la surface des mers de glace offre fréquemment des ondulations qui, au loin, ressemblent à de fortes vagues, on ne peut raisonnablement supposer qu'au moment où il se trouve de 780 mètres au-dessus du lac de Neuchâtel, le glacier du Rhône puisse présenter une telle variation de hauteur, d'autant plus que le glacier était alimenté par ceux qui descendaient des montagnes élevées de Berne et de Savoie.
    La cause du dépôt de cette moraine à des hauteurs si différentes provient, à mon avis, de l'élévation plus ou moins considérable des cols des sommités du Jura, de leur forme et des vallons ou vallées qui séparent ces sommités.
    De là dépendait le volume et la forme des anciens glaciers qui rejoignaient le Jura avec ceux des Alpes.
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    *) Essai, page 159.
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    De là dépendait encore le mouvement des glaciers pendant leur diminution et la forme des terrains erratiques qu'ils ont laissés.
    Depuis les sommités élevées 1087 mètres, se terminant presqu'en arête à fortes pentes, comme le Cheumont, le Chasseron, le Mont Suchet, le mont Tendre et la Dôle, les glaciers qui prenaient naissance derrière ou à côté, descendaient rapidement sur les plateaux inférieurs.
    Lorsque ce plateau est élevé comme celui qui se trouve au-dessus de Bullet et domine encore par le Chasseral qui est presque à vive arête, le glacier ne peut avancer autant avant de rencontrer le glacier des Alpes, que ceux qui descendent des vallées de Ste-Croix et du vallon situé entre le Suchet et les aiguilles de Beaulmes.
    Il ne pouvait donc pas occuper une étendue aussi considérable que ces derniers qui, probablement, sont arrivés près de Châtillon et ont formé la moraine profonde qui constitue le bassin de Beaulmes.
    Il en est ainsi des plateaux de Bierre, de Gex et d'autres où les glaciers, descendant des vallées entourées des plus hautes sommités du Jura, les occupaient même sur une plus grande étendue avant de rencontrer celui du Rhône et de l'Arve.
    Pendant le progrès des glaciers des Alpes, ces sommités offraient des obstacles au refoulement de ceux du Jura et obstruaient leur passage au-dessus des cols de cette chaîne de montagne; mais lorsqu'ils diminuaient, elles perçaient les premières ces masses glacées qui recouvraient toute la contrée.
    C'est donc sur les plateaux du versant méridional de ces élévations que les moraines pouvaient être déposées à la plus grande hauteur, mais il fallait qu'ils aient été à l'abri des glaciers et des chutes des avalanches de la 2de période glaciaire pour s'être conservés dans la position où ils étaient dans la première.
    Je ferai aussi observer que des dépôts considérables pouvaient rester dans des vallons latéraux, comme ceux à l'occident de la Dent de Lys, parce que le glacier, remplissant la plaine, avait obstrué leur sortie avant qu'ils aient été remplis par le glacier qui s'était formé au sommet de ces vallons.
    Des dépôts erratiques pouvaient également rester derrière les hautes collines isolées, comme au nord du Chalet à Gobet, à la hauteur de 860 mètres, se trouve une moraine servant actuellement de carrière de gravier.
    Dans de telles localités, le mouvement du glacier ne pouvait les enlever pendant son progrès, mais bien les augmenter pendant sa diminution.
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    §  24.

    L'extension des glaciers, qui a suivi celle dont nous avons parlé, a laissé de nombreuses accumulations de terrains erratiques dans le Valais, qu'on doit attribuer à des oscillations qu'il a éprouvé pendant la retraite, le maximum en hauteur du glacier du Valais ayant encore dépassé à cette époque tous les points hors d'atteinte des glaciers de la troisième extension.
    Il n'en est pas de même dans le canton de Vaud où le terrain erratique de cette époque se fait remarquer en beaucoup d'endroits.
    Sur la crète qui domine le village de Gryon, la moraine de cette extension est à  1230 mètres au-dessus du niveau de la mer.
    Au-dessus des villages de Huemoz et de Corbeyrier, elle limite de belles combes par lesquelles on reconnaît de petits glaciers qui, descendant des sommités environnantes, y ont rencontré le grand glacier.
    On retrouve la moraine près de Puidoux, sous Savigny, à l'occident de la Clef-au-Moine et à l'église des Croisettes.
    Pendant le maximum de hauteur, le glacier avait près de 4% de pente depuis la sortie de la gorge entre les dents du Midi et de Morcles jusqu'en face des Croisettes, où la moraine se trouve à la hauteur de 729 mètres au-dessus du niveau de la mer.
    Le glacier du Rhône s'est ensuite étendu dans le vallon de la Venoge jusqu'à ce qu'il fut rencontré par le glacier descendant des sommets des cantons de Fribourg et de Berne.
    On rencontre les vestiges de sa hauteur à l'occident de La Sarraz sur une haute saillie du roc qui domine la droite de Venoge. Sur le sommet de la colline Rière-Rance, de nombreux blocs erratiques se trouvent aussi près d'un bâtiment.
    La moraine passe au nord du village de Valeyres, au-dessous du mont Chérand; elle est au nord d'Agiez, de Boflens et de Croy.  Les eaux du Nozon et de la Venoge, formant probablement un lac entre le glacier et le Jura, ont causé des modifications dans le dépôt erratique, mais la moraine paraît être bien distincte.
    Dès la saillie du roc dont nous venons de parler, la moraine continue sans interruption contre Dizy et passe au nord de Cossonex, près des St.-Livres.  Elle est surmontée de collines qui semblent provenir des dépôts faits dans les crevasses du nord des glaciers.
    La moraine de Lausanne, sur laquelle est bâtie la rue du Bourg et qui se prolonge jusqu'à Ecublens, doit par son volume être attribuée à l'époque de cette deuxième extension.
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    Nous indiquerons plus loin, §30, la raison pour laquelle cette moraine se trouve de 200 mètres au-dessous de la hauteur que le glacier avait atteint à cette époque.
    Les nombreuses sources qui donnent naissance à la rivière d'Aubonne, ont souvent interrompu la moraine terminale. Aussi ce sera alors que vers la fin du moment stationnaire ou au commencement de la retraite du glacier, se sera formé l'alluvium glaciaire dont on voit les accumulations descendre depuis Colombier contre Yens et Lavigny *) pour rencontrer au-delà de la rivière sur Aubonne, au signal de Bougy, et de là sur la colline située au couchant du hameau de Chàtel à 763 mètres au-dessus du niveau de la mer.
    A l'occident de la colline de Chàtel, j'ai reconnu en 1841 en parcourant la nouvelle route, tendant de Molard à Burtigny, plusieurs places où les dépôts erratiques ne sont pas stratifiés, c'est-à-dire, qu'ils sont des moraines.
    Entre les rivières, le Promenthoux et la Versoix, les dépôts me sont inconnus, mais le cours de cette dernière rivière fait déjà présumer qu'elle a été détournée de son cours naturel par la moraine de cette deuxième extension.

    §  25.

    Ayant fait une excursion de Genève à Gex, j'ai vu qu'à Fernex le château de Voltaire se trouve sur cette moraine, ainsi que les villages du grand et petit Sacconnex.
    De Saussure en indiquant, § 51 et 54, la nature du sol de la colline sur laquelle est bâtie en partie la ville de Genève et aussi de celui de St.-Jean, ne s'est pas douté que leur formation était due aux anciens glaciers.
    Cependant la description qu'il donne de ce sol, me prouve qu'il est le résultat de deux grandes extensions glaciaires.
    Voici ce qu'il dit au § 55 des voyages  dans les Alpes:
    "Le village (Cartigny) est situé sur un plateau fort étendu, élevé de 178 pieds (58 mètres) au-dessus du niveau du Lac. Le Rhône qui passe au pied de ce plateau, a 77 pieds de pente de Genève au-dessous de Cartigny, et par conséquent la rivière coule 255 pieds (82 mètres 83) plus bas que la plaine sur laquelle est situé le village.
    "Toute cette hauteur de 255 pieds (82 mètres 83) est coupée à pic au-dessus du
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    *) La construction de la nouvelle route d'Aubonne a découvert les stratifications nombreuses de sable, de gravier et de cailloux qui composent ce terrain formé à mesure que l'eau fonduit le bord du glacier retenant celle-ci contre la montagne.
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    -  19   -

Rhône dans un endroit appelé les roches de Cartigny. Le terrain miné par des sources  qui coulent entre les terres, a essuyé des éboulements considérables; mais les parties les mieux liées se sont maintenues et forment ça et là des espèces de tours et de  pyramides irrégulières d'une très grande hauteur. Ces pyramides qui menacent ruine,  vues du bord du précipice, forment un aspect sauvage et terrible qui contraste  singulièrement avec le charmant paysage que l'on voit de l'autre côté du Rhône.
    Si l'on descend jusqu'au lit du Rhône en côtoyant ses escarpements, on voit que le  terrain est composé d'abord de terre végétale, ensuite de lits horizontaux de sable et  de gravier; puis, des lits plus épais d'un sable très fin.
    Tous ces lits forment ensemble une épaisseur d'environ 60 pieds (19. 49 mètres) et  sont suivis d'une couche d'argile presque indevise, épaisse d'environ 70 pieds (22. 71 mètres) et mélangée ça et là de cailloux épars.
    Sous cet argile, on trouve des lits de sable, de gravier et de cailloux qui forment entr'eux les 125 pieds (40 mètres 00) qui restent jusqu'au lit de la rivière.
    La moitié supérieure de cet espace présente des cailloux libres et roulants, mais la moitié inférieure en offre de ceux qui sont (liés) par un gluten calcaire qui en forme une espèce de poudingue.
    On trouve quelquefois dans les interstices de ces pierres du spath calcaire confusément cristallisé en lames rectangulaires."
    Les lits de sable, de gravier et de cailloux, qui dépassent le cours du Rhône de 125 pieds de hauteur, me paraissent être le résultat de la première extension glaciaire.
    A cette époque, le glacier de l'Arve et ceux du Jura français se sont rencontrés dans la plaine de Genève et y ont laissé leur moraine profonde (voir Vogt).
    Dès que les glaciers du Rhône les avaient joints, toute la masse glacée devait augmenter en épaisseur jusqu'à ce que, dépassant le sommet de Vouache, elle a pu s'étendre de côté de l'occident et faire un dépôt de pierres primitives.
    Mais pendant la retraite de ces glaciers, la fusion de la glace, s'opérant sur une si grande étendue, devait élever le cours du Rhône dans la gorge séparant le Jura du Vouache à une hauteur telle que dans la basse plaine, au couchant de Genève, il se formait un lac dans lequel les eaux de l'Arve pouvaient engendrer des lits stratifiés.
    A la deuxième époque glaciaire, les glaciers du Jura arrivaient de nouveau les premiers dans la basse plaine.
    Celui de la Valserine fermait le passage au cours du Rhône et formait un lac qui dépassait d'environ 200 mètres la hauteur actuelle du lac Léman.
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    Les eaux troubles de l'Arve débouchant dans le lac, y produisaient un dépôt argileux et lorsque le glacier y arriva, il s'en détacha des cailloux qui, en nageant, se dissolvaient sur le lac et les laissaient tomber çà et là dans un argile.
   Voilà comment à la seconde arrivée du glacier de l'Arve la couche de 70 pieds a pu se former, ainsi que le sol argileux qui, au Travers, constitue le fond du lac.
    Mais en y arrivant, il a recouvert ce sol de la moraine profonde et forme les terrains de transport stratifiés qui recouvrent dans le canton de Genève la couche argileuse.

    §   26.

    A la troisième extension des glaciers diluviens celui du Rhône a presqu'atteint le bassin actuel du lac Léman.
    Les collines entre Chessel et Noville sont, à mon avis, des moraines de ce glacier.
    Mais MM. de Morlot  et Troyon, les attribuent à  l'éboulement du mont Taurus. *)
    De prime abord, cette supposition paraît probable, à cause de la hauteur de la montagne qui domine cette contrée, mais les débris des roches éboulées s'arrêtent ordinairement au pied du mont duquel la roche s'est détachée.
    Ils y forment un demi-cône dont la base est entourée des blocs les plus volumineux de l'éboulement.
    Cependant le cours actuel du Rhône est une petite plaine séparant ces collines du pied de la montagne.
    Il existe bien dans cette contrée un demi-cône de pierres éboulées, au pied duquel se trouve le village des Evouettes, mais il est à la sortie d'un vallon et traversé par le torrent du Tovet.
    La largeur entre le pied de cette accumulation de pierres et les collines entre Chessel et Noville est d'au moins 12 mètres.
    Je n'ai pas eu occasion d'examiner plus attentivement cette question, mais plusieurs de ces monticules me paraissent être évidemment des moraines.
    Si l'on m'objecte qu'ils ne contiennent aucune pierre appartenant aux hautes montagnes du Valais, je me bornerai de citer Vouvry à l'appui de ce que j'avance; l'église
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    *) On pourrait donc supposer qu'au moment de la chute du mont Taurus l'embouchure du Rhône se soit trouvée dans cette contrée au pied de la montagne,  qu'il soit tombé si rapidement dans ce fleuve au bord du lac qu'une partie en ait rejailli, avec des débris du mont, du sable et du gravier à la distance où se trouvent ces collines.
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de  cet  endroit est située à 1600 mètres et bâtie sur un demi-cône de pierres et de  gravier renfermant des blocs énormes de granit.

    § 27.

Au canton de Vaud on peut aisément suivre la trace du dépôt que ce glacier a formé depuis le Cimetière de Chessel jusqu'à Roche.
    Le village de Vervey est bâti sur une accumulation des débris de pierres et de blocs calcaires qui paraissent avoir fait partie d'une bande glaciaire, interrompue par une crevasse dans laquelle ces matériaux sont tombés.
    La moraine latérale de ce glacier se retrouve sous Yvorne et près d'Aigle, au midi de la maison Doret, elle supporte un gros bloc arrondi qui semble devoir tomber sur la grande-route.
    Cette moraine remonte contre les rochers abrupts qui dominent la route des Ormonts à l'entrée de cette vallée.
    Au-delà de la colline élevée de roche qui, au levant d'Aigle, s'avance vers la plaine, le terrain erratique reparaît sous le hameau vers Chiez.  Mais ici, il renferme de gros blocs provenant des montagnes du Valais. On les voit dans une vigne au-dessus de la grande-route.
    Cette circonstance prouve que le glacier des Ormonts s'êtait joint à cette époque à celui du Rhône et que le terrain erratique, qu'on rencontre sur la droite de la grande vallée entre Aigle et Noville, est une production de la glace sortie de celle vallée.
    Entre la dite vigne et le village d'Oron, la moraine est très remarquable en ce qu'elle est emportée en partie et que sa consistance est de sable, de gravier et de galets de gypse renfermant des galets rares de roches primitives.
    Des blocs de granit se trouvent sur le sommet des collines de St.-Triphon et Charpigny *) et du Montet, tandis que la moraine latérale reparaît au levant d'Ollon, passe sous Antaigne et le hameau de Fenalet.
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    *) On voit depuis la grande-route la petite moraine qui est placée sur le milieu de l'extrémité septentrionale de la colline de Charpigny , derrière laquelle les eaux, descendant du vallon sous Panez, avaient causé un exhaussement du sol en détruisant la moraine.
    Ce qu'il y a de remarquable , c'est qu'à l'orient de celle extrémité de la colline le sol offre des graduations, se réunissant en arc derrière la colline; cela indique que ce sol a été refoulé par les gonflements que le glacier a éprouvés pendant quelques hivers avant de disparaître.
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    Du côté du Valais, les vestiges de cette extension ne se rencontrent pas seulement à Vouvry, mais encore sur le flanc de la montagne calcaire depuis la saillie de roche dominant le village de Collombey jusqu'au-dessus de Monthey où une grande branche de blocs erratiques, décrits dans l'essai page 139, traverse la montagne.
    Ce sont ces blocs de granit, surtout les pierres des Murguets qui dans les promenades et les discussions dont il a déjà été fait mention précédemment, m'ont servi d'argument pour prouver à Charpentier que cette bande a été formée par un  glacier. *)
    On peut suivre les vestiges de cette extension du glacier à Outreviège, au-dessus du village de Vérossar en Mex et, vis-à-vis, vers Alesse.
    En Ravoire, ce glacier a formé une moraine renfermant des blocs énormes de granit qui traversent toute la montagne depuis le sommet des roches abruptes qui dominent les îles d'Otan jusqu'au col de la Forclaz.
    A cette époque appartient encore la moraine granitique qui barre du côté du midi le lac de Champex, situé au-dessus d'Orsières, ainsi que le dépôt énorme de blocs de granit au Plan-y-Boeuf, séparant la vallée de Ferre de celle de l'Entremont.
    Je pourrais indiquer bien des localités en Valais où les moraines terminales et latérales ont marqué l'étendue des glaciers de cette époque, mais je me bornerai à citer le monticule de Burgspitz, au-dessus de Brigue, qui est surmonté d'une Chapelle, et un autre mont situé à l'occident du précédent. Ces monticules consistent en dépôts erratiques, ainsi que le terrain sillonné verticalement par de petits vallons qui de là s'étend jusqu'au précipice dominant le cours de la Saltine au-dessus du village de Lingwurm.
    Dans ce terrain, serpenté par la route du Simplon, se trouvent des blocs provenant de la Jungfrau, preuve qu'à cette époque le glacier d'Aletsch à comblé la vallée du Rhône jusqu'à cette hauteur.

    § 28.

    Les glaciers de la quatrième et dernière époque, qui ont précédé les temps historiques, ont formé de nombreuses moraines par lesquelles on peut juger de leur étendue; toutes les vallées latérales du Valais en fournissent amplement.
    Je me bornerai à mentionner ici quelques-unes des plus remarquables.
    Le glacier du Rhône s'était alors étendu, comme nous l'avons dit plus haut, jusqu'à Obergestelen ; l'église est bâtie sur la moraine terminale même. Ce glacier a laissé
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    *) Aussi a-t-il fait graver mon nom sur la pierre qui sert d'appui à celle qui porte le sien.
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sur les deux versants de la vallée des vestiges distincts de la moraine latérale; ces moraines font voir que le glacier avait une forte pente.
    L'église et le village de Biel sont aussi bâtis sur la moraine terminale qui sortait du Vallithal.
    Le glacier de Viesch a formé une superbe moraine sur ses deux flancs, comme une chaussée élevée à pente.
    Le glacier d'Aletsch s'est étendu jusqu'à Brigue. La culée droite du pont de Naters est fondée sur la moraine qui en demi-cône s'adosse contre la roche saillante du pied de la montagne, sur laquelle passe le chemin de Naters à Mund.
    Cette moraine se retrouve au-dessus de ce chemin, où elle forme trois arêtes bien distinctes. Rière, Weingarten, la triple moraine de la gauche de ce glacier, est bien reconnaissable, mais les arêtes sont plus espacées que sur le rocher à la droite du glacier.
    C'est pendant cette extension que le glacier d'Aletsch a arrêté le cours du Rhône en face de l'embouchure de la Massa, en formant un lac dans lequel les eaux troubles du Rhône ont laissé un dépôt d'argile mêlé de cailloux et de pierres tombées du glacier.
    Voilà, à mon avis, l'origine de cette couche argilo-graveleuse mentionnée ci-devant,  § 9, qui vers le moulin de Mörell passe sous le cours du Rhône.
    A cette époque, les glaciers de la vallée principale de Saas sont descendus jusqu'à Almagel, et ceux de Fée les ont joint et dépassé un peu plus en aval.
    La Vogelegge (colline des oiseaux) est la moraine qu'ils ont formée entr'eux.
    Le pied de la montagne sur la droite de la Viège renferme bien des blocs de gabro transportés par le glacier d'Allalin, tandis qu'un peu plus en aval, avant d'arriver au village paroissial de Grund, ces pierres sont remplacées par la serpentine provenant des montagnes de Fée.
    Le terrain erratique; sur lequel se trouve la Chapelle et le hameau du Trient, est la moraine terminale que le glacier de ce nom y a déposé à celle époque.

    §  29.

    Il est superflu d'entrer dans des détails ultérieurs des faits si nombreux démarquant les limites de cette extension des glaciers; cependant les moraines formées par celles du glacier de Salène méritent d'être mentionnées.
    Ce glacier qui maintenant se termine vers l'entrée d'une vallée latérale, avait traversé la vallée de Ferrot presqu'à angle droit et s'était appuyé fortement contre le mont opposé ;
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sur la gauche on voit la moraine à plus de 100 mètres  au-dessus du fond de cette  vallée latérale.
    Elle se prolonge dans la principale jusque près du village de Praz-de-Fort où elle est divisée en trois.
    Sur la droite, la moraine forme une colline boisée de plus de 30 mètres de hauteur. Vers le milieu se trouve au sommet un bloc énorme.
    La Dranse, arrêtée dans son cours, a dû former un lac en amont de ce glacier qui, en rompant sa barrière, a probablement occasionné la débacle qui a laissé le long de la rivière une si grande quantité de blocs de granit roulés depuis Praz-de-Fort jusqu'à  Sembrancher, surtout au débouché de la vallée de Ferret.

    §  30.

    Les moraines indiquées jusqu'ici pour soutenir l'assertion des quatre différentes extensions des glaciers, mentionnées au § 24, ne démarquent qu'approximativement la hauteur à laquelle les glaciers de chaque époque sont parvenus, mais il s'en trouve d'autres qui, quoique placées notablement comme celle de Lausanne à Ecublens au-dessous de cette démarcation, doivent, à cause de leur volume, être attribuées à une de ces époques glaciaires.
    Ce sont les résultats du mouvement que les glaciers ont éprouvés soit pendant l'état presque stationnaire, soit pendant leur diminution.
    En effet, dans les endroits où, pendant le maximum de leur extension, le bord s'adossait contre un point de la montagne propre à recevoir une moraine, elle fut déposée à la hauteur que le glacier avait atteint.
    Mais, dans les localités où deux glaciers, arrivant de contrées différentes, se sont, rencontrés, la moraine ne pouvait se former qu'au point où, par suite de leur diminution, ils se séparèrent.
    Voilà pourquoi la moraine du Jura décrite dans l'essai de Charpentier, page 159 et suivantes, occupe des endroits si inégaux en hauteur.

    §  31.

    Dans les lieux où, entre le sol et le glacier, il se formait des bassins d'eau presque, stagnantes, les moraines se sont converties en alluvium glaciaire. *)
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    *) Essai, pag. 63.
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    Lorsque ces eaux presque stagnantes étaient alimentées par de petits torrents, ces alluviums devenaient des cônes de déjections où les limons, occupant la base, sont recouverts de sable, de gravier et d'autres pierres de la moraine.
    La retraite, soit la diminution des glaciers diluviens, ne s'est pas opérée d'une manière subite.
    Au contraire, leur période devait se terminer beaucoup plus lentement qu'elle n'avait commencée.
    Pendant cette retraite, le climat en, s'adoucissant, n'avait pas une graduation uniforme, il éprouvait des oscillations comme de nos jours. Des années assez froides et humides ont même fait augmenter le volume des glaciers, qui refoulaient le peu de matériaux dispersés pendant leur diminution.
    Ce sont ces oscillations qui ont produit les petites moraines ou accumulations erratiques qu'on voit entre ceux qui, par leur volume, indiquent une nouvelle extension des glaciers diluviens.
    Pendant l'amoindrissement des glaciers qui ont occupé les bassins du midi de la Suisse, des séparations ont eu lieu, en plusieurs endroits, entre les parties occupant les bassins et celles des parties supérieures des vallées des Alpes.
    Depuis cette séparation la fusion des parties de la plaine s'opérait d'une manière encore plus inégale qu'auparavant.
    Les torrents descendant des glaciers supérieurs, ayant acquis quelque chaleur avant d'arriver au bassin du lac Léman, accélérèrent la fusion de la glace de ce bassin et donnèrent une force propulsive à la partie située au nord du bassin baigné par les eaux.
    C'est par suite de ce mouvement que la moraine de la deuxième extension glaciaire se trouve entre Lausanne et Genève, en bien des endroits, surtout au-dessous de la hauteur atteinte par le glacier à son maximum.
    Dans d'autres places, ce sont les glaciers de l'extension postérieure qu'ont fait pénétrer la moraine précédente dans une région inférieure.
    La forte moraine de la seconde extension glaciaire et sur laquelle se trouve le hameau de Plan-Cudrey près de Villeneuve, peut être assimilée à ce cas-ci.
    Les matériaux disséminés de cette époque ont été refoulé par le glacier d'un temps postérieur, qui s'était de nouveau formé dans le haut du vallon de la Tinière.
    Un autre phénomène s'est aussi présenté, c'est que pendant la diminution ou le temps d'une nouvelle époque glaciaire, un glacier s'est adossé fortement contre l'embouchure d'un, torrent latéral, et que pendant plusieurs jours les eaux ne pouvaient s'in-
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traduire sous la masse; elles coulaient alors, pendant quelques instants et sur une étendue plus ou moins considérable, on longeant le bord du glacier et formait avec les amas entassés un plan incliné entre ce dernier et la montagne qui, après la disparition du glacier, s'est convertie en une terrasse.
    Mais, si après une diminution assez grande, le glacier par une oscillation interceptait le passage au torrent, celui-ci donnait lieu à un autre plan incliné qui ensuite devenait une terrasse comme on peut le voir au-dessus d'Orsières.
    Si en aval des trois glaciers actuels qui dans la Valsorine se réunissent en un seul, le glacier venait à se fondre, la moraine tomberait et formerait le talus de la petite plaine graveleuse située sur sa droite qui, en ce cas, deviendrait une terrasse.


   TROISIEME PARTIE.

    §  32.

    Les faits exposés jusqu'ici paraissent prouver évidemment l'hypothèse qui admet plusieurs époques glaciaires diluviennes, d'où résulte la formation des terrains quaternaires de la Suisse.
    Les géologues, adoptant la théorie glaciaire, sont du même avis, mais il n'en est pas ainsi de ceux qui habitent d'autres pays.
    Depuis l'apparition de l'essai sur les glaciers, deux ouvrages ont été publiés. Leurs auteurs divisent les terrains quaternaires en plusieurs catégories, qu'ils attribuent à des causes de différente nature.
    L'un des essais, mentionnés au § 12 de MM. Ch. Martin et B. Gastoldi, divise les terrains superficiels de la vallée du Pô, en formation glaciaire et aqueuse en comprenant dans les premières les anciennes moraines et le terrain glaciaire; dans la seconde le diluvium alpin sans fossiles, les alluviums du pliocène et les couches marines qui les supportent et en attribuant la formation aqueuse à une ère géologique plus ancienne que la période des anciens glaciers.
    L'autre ouvrage intitulé: Mémoire sur les phénomènes de la Suisse, de M. Em. Desor, établit, comme il a été dit au § 13, une différence entre les phénomènes erratiques de la Scandinavie et ceux des Alpes en leur attribuant trois époques différentes.
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  MM. Charles Martin et Gastoldi, après avoir décrit les moraines au bas de la vallée d'Aoste, disent:
    "Comme les moraines de Rivoli, celles-ci reposent sur le diluvium alpin superposé lui-même aux sables pliocènes marins de la vallée du Pô.
    Le terrain glaciaire épars, ou des moraines profondes et superficielles réunies forment une zone étroite autour de la moraine terminale et s'étendent particulièrement sur toute la région connue sous le nom de Bessa, où le glacier a déposé de nombreux «blocs erratiques.»
    On voit au ravin du torrent de Bériana, qui descend de la Tourbière de San Giovani, a que le terrain glaciaire dispersé supporte la moraine superficielle et se confond avec le diluvium alpin qui repose inférieurement sur le plyocène marin. Cette zone est cependant moins étendue que celles qui entourent les moraines du glacier de la vallée a de Suse."
    Plus loin ils continuent, en disant:
    "Lorsque l'on quitte le terrain glaciaire disséminé qui entoure les moraines d'Ivrée et de Rivoli, pour se rendre vers le Pô, on ne voit plus aucun vestige de roches striées,  de cailloux rayés ou de blocs erratiques.
    "Il est donc évident qu'il n'y a point, dans cet espace, de traces apparentes qui puissent nous indiquer le séjour d'un ancien glacier.
    Mais, à peine a-t-on franchi le Pô jusqu'au pied même de la colline qui s'élève sur la rive droite, on voit des amas de cailloux provenant de la partie des Alpes située en face des blocs erratiques de même origine de lehm ou boue glaciaire."
    Après avoir donné une description de la structure géologique et minéralogique de la colline de Turin qui a quarante mètres de hauteur au-dessus de la plaine, soit 600 mètres au-dessus de la mer, ils continuent ainsi:
    "Toute la colline de Turin, le revers du côté des Alpes, aussi bien que le versant opposé, tous les points culminants, tels que Superga, la Tour du Pin, aujourd'hui télégraphe, l'Ermitage (eremo) et la Madelaine, ainsi que le pourtour de la base, sont parsemés de blocs erratiques."    Ils donnent ensuite une peinture de la Serra et d'autres localités et prétendent que l'origine du diluvium glaciaire est purement aqueuse, comme celle de la Seine et de la Loire qui sont déposées dans les vallées, où, selon eux, aucun glacier n'est parvenu, même à l'époque de sa plus grande extension.
    Le diluvium alpin, à leur manière de voir, est antérieur à la période glaciaire et
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n'a peut-être pas de rapport direct avec elle. On peut admettre à ce sujet l'explication très plausible de Mr. Lecoy. *)
    D'après ce géologue, une série d'années de brouillards et de pluies abondantes aurait précédé et préparé l'époque de l'extension des glaciers.
  Le diluvium alpin appartiendrait alors à cette ère géologique, cependant nous ne saurions le considérer comme synchronique de celui de la France occidentale, car il ne contient pas de fossiles ; mais celui de nos bassins en renferme.
    Dans le parallèle entre les terrains superficiels de la vallée du Pô et ceux du bassin helvétique, ces messieurs prétendent que les anciens glaciers piémontais ont déposé au débouché des vallées alpines les puissantes moraines qui par leur hauteur, leur régularité, leur symmétrie prouvent une station séculaire des glaciers sur un même point, tandis qu'en Suisse, au moins à la partie méridionale du bassin, on ne voit rien de semblable.
    Pour donner une solution à cette différence, ils s'imaginent que le glacier du Rhône, dans son extension la plus grande, a dépassé le Jura pour reculer ensuite et faire une longue station sur le versant oriental de cette chaîne. Voici quelle est leur opinion:
    "Le revers méridional des Alpes étant plus chaud que le revers septentrional, la station prolongée de l'ancien glacier n'a pas eu lieu sur la colline de Turin, mais dans la plaine. Aussi pendant la longue époque de la température sensiblement invariable durant laquelle le glacier du Rhône touchait au Jura, le glacier des deux Doires était au milieu de la plaine, à moitié-chemin entre les Alpes et la colline; et pendant la période du maximum d'extension durant laquelle le glacier du Rhône dépassait le Jura, ceux d'Aoste et de Rivoli atteignaient la colline de Turin."
    D'après les extraits ci-dessus, de l'essai sur les terrains superficiels de la vallée du Pô, nous pouvons à l'exception des sables plyocènes marin dont nous parlerons tout-à-l'heure hardiment attribuer la formation de ces terrains aux différentes extensions des glaciers de l'époque diluvienne.
    MM. Martin et Gastoldi sont eux-mêmes d'avis que le glacier des Alpes a dépassé le sommet de la colline de Turin en même temps que celui du Rhône a dépassé le Jura. Cette extension est celle de la première époque dont j'ai parlé au § 20.
    Le terrain glaciaire de la zône de la Bessa et celui au pied de la colline de Turin, appartiennent à cette époque.
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    *)  Des glaciers et des climats, ou des causes atmosphériques en général. 1847.
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    L'alluvium alpin situé entre cette zone et la colline de Turin,  à la seconde.
    Il ne faut pas s'étonner qu'entre le terrain glaciaire de cette première époque entourant les moraines d'Ivrée, de Rivoli et le Pô, on ne rencontre aucune trace de moraine profonde ou de blocs erratiques.
    Ces messieurs pensent avec raison qu'à mesure qu'un glacier s'avance dans la vallée, il entraîne avec lui sa moraine profonde.
    Pendant la première extension, cet espace était profondément excavé par le glacier.
Le terrain dispersé provenant de la fonte du premier glacier ne pouvait remplir cette profondeur que par l'oscillation qui a formé la zône de la Bessa. Il fut donc recouvert par l'alluvium glaciaire de la seconde extension qui a comblé cette excavation.
    L'extrémité inférieure des glaciers glisse souvent sur le dépôt formé par le torrent sortant de dessous la glace. La moraine frontale d'Ivrée pouvait donc se déposer sur le diluvium de cette deuxième époque glaciaire.
    Les terrains superficiels de la vallée du Pô, reposant sur le plyocène, pourront donc être attribués à la cause qui a produit les différentes extensions des anciens glaciers.

    §  33.

    Essayons maintenant d'arriver au même résultat pour ce qui concerne les phénomènes erratiques du nord de l'Europe et de l'Amérique que M. Desor attribue à plusieurs grandes phases ou époques très marquées *), tandis qu'en Suisse, au contraire, on est habitué, selon lui, à envisager les divers phénomènes erratiques comme l'œuvre d'un seul agent (soit d'un courant, soit d'un vaste glacier), qui aurait tout à-la-fois, poli les rochers, entassé les dépôts erratiques, et transporté les blocs dans leur position actuelle.
    Nous avons vu plus haut qu'en Suisse aussi le terrain erratique appartient à plusieurs époques.
    On peut donc répondre au reproche qu'il nous Fait:
    1. D'avoir admis avec trop de précipitation que les mêmes actions avaient dû se produire dans le nord de l'Europe où, comme en Suisse, la surface du sol se trouve jonchée de blocs erratiques.
    2. D'avoir, en opposition à la simplicité des lois de la nature et des moyens dont elle se sert, adopté plus d'un agent pour la production de ces phénomènes, sans cependant les expliquer.
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    *)  Voyez le § 3 de ce Mémoire.
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    M. Désor avoue cependant, qu'en ce qui concerne les roches polies, moutonnées et striées de la Scandinavie, elles sont en tous points semblables à celles de la Suisse.
    Les blocs erratiques y sont également étrangers et les collines allongées de sable et de gravier, nommées Ozars, présentent dans leur forme extérieure une analogie avec les moraines des glaciers, mais elles sont stratifiées.
    "Il est vrai, dit-il, que cette stratification est souvent obscure, quelquefois complétement effacée, mais il suffit qu'elle soit bien distincte sur un seul point de l'Osar pour exclure toute idée de formation glaciaire."
    L'Osar d'Upsala, est sous ce rapport encore plus significatif puisque l'on trouve à sa base des coquilles marines, emportées dans une argile fine, indiquant avec évidence un dépôt lent et stable. Or, cette argile étant surmontée d'une couche de sable et de gravier, il faut bien admettre que ces couches se sont déposées postérieurement; en d'autres termes, il y a eu une succession de dépôts, ce qui est contraire à l'idée de moraine qui suppose que la masse entière a été transportée d'une seule pièce. Maintenant, tous les géologues admettent que les Osars sont sillonnés de blocs erratiques, épars en plus ou moins grande quantité à leur sommet, et qu'ils doivent nécessairement être déposés dans cette dernière localité. Cette question résolue, il s'en suit que le transport des ces blocs ne peut être, comme en Suisse, contemporaine du phénomène produit par le burinage et le polissage des rochers, et le transport des blocs est un phénomène simultané; par conséquent les blocs du sommet des Osars n'ont rien de commun avec les blocs environnants quelquefois le sommet de nos moraines suisses.
    Le même raisonnement peut s'appliquer aux dépots de sable et de gravier qui recouvrent une grande partie des plaines de la Scandinavie et du nord de l'Allemagne.
    Dans la théorie glaciaire, on devrait naturellement les envisager comme représentant la moraine profonde ou couche de boue du grand glacier Scandinave.
    Mais la difficulté devient réelle, lorsque les dépôts erratiques renferment des débris fossiles. Or, l'erratique de la Scandinavie en contient une assez grande quantité sur plusieurs points et jusqu'à une hauteur considérable *), et comme ce sont exclusivement des fossiles marins, on est forcément conduit à conclure que les dépôts qui les renferment ont dû être déposés, ou du moins façonnés par les eaux, et que, par conséquent, la Scandinavie a été recouverte par la mer jusqu'à  la hauteur où l'on trouve des coquilles marines.
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    *)  Jusqu'à 600 pieds, d'après M. de Kilhau.
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    Quant à l'objection, que l'on pourrait me faire, que les fossiles sont fréquemment mutilées et pourraient ainsi se rencontrer là à l'état remanié, il me suffirait de rappeler qu'il existe près d'Udegalla des preuves irrécusables de la présence de la mer dans les balanes que Mr. Brongniart trouva attachées à la surface des roches au-dessus de la mer à une élévation de 200 pieds et que l'on voit près de Christiania des serpules adhérentes à la roche polie à 170 pieds au-dessus du fiörd.
    Pour ce qui concerne les dépôts de la Scandinavie et du nord de l'Allemagne renfermant les débris fossiles marins, Mr. Desor a dû en conclure que la Scandinavie a été recouverte par la mer jusqu'à la hauteur où l'on trouve des coquilles marines.
    On doit être surpris de ce que l'auteur du mémoire n'ait pas indiqué d'autres vestiges de l'élévation de cette mer.
    Si la contrée, renfermant ces dépôts, avait été soulevée seulement de 180 pieds, ce soulèvement aurait laissé des vestiges de ruptures effectuées entre les contrées qui se trouvaient en place et celle qui a éprouvé cet exhaussement. Si c'est la mer qui s'est élevé à une telle hauteur, elle a dû laisser des traces de sa rive sur des étendues immenses.
    Il paraîtra donc plus naturel d'admettre que (la première extension des glaciers diluviens étant encore aussi inconnue dans le nord de l'Allemagne qu'autour des Alpes) les glaciers de la deuxième extension, celui qui a traversé le bassin de la mer baltique, a entraîné avec lui les sables, le gravier et les coquilles qu'il a brisées et, en remontant, comme au pied du Jura, sur un sol plus élevé il en a formé la moraine profonde.
    Les blocs erratiques répandus dans ces contrées sont à l'appui de la supposition de cette première extension des glaciers, car la mer n'aurait pas pu y amener des blocs aussi gros pour en former des bassins comme celui en granit qui se trouve à Berlin et qu'on a tiré d'un bloc erratique trouvé dans la contrée.
    A la supposition que les dépôts de sables et de gravier de la Scandinavie soient des moraines profondes, Mr. Desor objecte l'existence des balanes près d'Udegalla et des serpules adhérentes à la roche polie près de Christiania.
    Mais ces faits, ainsi que les Osars des environs de Stockholm et d'Upsala, ne peuvent-ils pas être attribués à l'époque de la troisième extension des glaciers diluviens ?
    Pour s'en convaincre, il faudrait examiner les localités qui environnent les trois bras par lesquels la mer baltique communique avec l'Océan.
    Si sur leur gauche, et à une très petite distance, la contrée s'élève à plus de 60 mètres au-dessus du niveau de la mer, il me paraît vraisemblable qu'un glacier des-
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cendant des  montagnes de la droite, a obstrué les trois bras et refoulé les eaux de la Baltique à la hauteur où l'on trouve les balanes près d'Udegalla.
   Les eaux troubles descendant des montagnes produisaient alors dans celles de la mer baltique exhaussées le dépôt d'argile fine dans lequel s'introduisaient des mollusques.
    Le bord d'un glacier, arrivant ensuite à l'endroit où se trouve l'Osar, recouvrait ce dépôt de sable et de gravier en y ajoutant ou les couronnant de blocs erratiques.    Ce sera aux géologues, qui examineront les localités, à reconnaître si les Osars ont été formés pendant le temps stationnaire du glacier ou en suite d'une oscillation pendant la retraite, soit par une autre circonstance locale, qui leur ait donné une forme particulière.
    Les explications que j'ai données sur la formation de ces terrains, ne sont que des conjectures. Toujours me paraît-il plus facile de se rendre raison de ces divers phénomènes, en admettant l'hypothèse de plusieurs extensions glaciaires, que d'ajouter à l'agent qui a moutonné, strié et poli les rochers d'autres agents qui auraient forme les Osars et transporté les blocs superficiels dont ils sont terminés, agents pour lesquels on ne peut indiquer ni la cause, ni le mode d'action. *)

    § 34.

    Il en sera de même des terrains quaternaires de l'Amérique du Nord, où l'aspect du pays, d'après Mr. Desor, est en effet tel qu'on ne saurait y méconnaître l'action des agents erratiques.
    Quoiqu'il soit certain que la grande formation diluvienne, connue sous le nom de Drift, renfermant en plusieurs localités une quantité de galets striés, appartienne, ainsi que les dépôts argileux avec coquilles des bords de St.-Laurent et du lac Champlein, à l'époque quaternaire, les galets striés ne doivent pas, d'après ma manière de voir, cesser d'être un indice certain que les dépôts qui les renferment soient d'origine glaciaire, quoiqu'on ait découvert les mêmes espèces de coquilles dans les dépôts très grossiers renfermant une grande quantité de galets striés et entr'autres à Brocklyn près de New-York.
    Ils fournissent, au contraire, la preuve que ces dépôts sédimentaires sont également un résultat de l'extension d'un glacier diluvien qui, en interceptant l'écoulement des mers intérieures et des lacs par la rencontre de collines de rocs ou de montagnes, ont contraint les eaux à se répandre sur de grandes étendues de terrain.
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    *)  Pour bien saisir ce qui suit, il faut lire les actes de la Société helvétique réunie à Sion.
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Les vastes dépôts que l'on désigne dans la Nouvelle-Angleterre et le Bas-Canada sous le nom de Cours - Drift ou Drift grossier s'élèvent à une hauteur considérable (jusqu'à 720 mètres dans les montagnes de Vermont) et appartiennent probablement à la quatrième extension des glaciers diluviens.
    La description des terrains quaternaires, donnée par M. Desor, ne fournit aucun indice qui me désignât le moyen de placer des moraines dans la première et deuxième extension glaciaires; je présume que la plus grande partie pourra être attribuée à la troisième, ainsi que le terrain Laurentin et Algon quin, dont on pourra modifier la définition en ces termes:
    Un terrain sédimentaire renfermant des fossiles marines ou lacustres, postérieur au phénomène du polissage des rochers, et antérieur au Drift de la 4c extension des glaciers diluviens.
    En envisageant de cette manière la formation du terrain quaternaire de l'Amérique, on se rend raison de la distribution des blocs erratiques sans avoir recours à un autre agent que celui de l'extension à plusieurs reprises des glaciers diluviens.

    § 35.

    Mais quelle est la cause de ces différentes extensions?
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