Ignaz Venetz - Climate Change Pioneer - #2


Ignaz Venetz was, in 1821, awarded a prize of 300 francs for his memoire by the Schweizerische Naturforschende Gesellschaft - the Swiss Natural Science Society.  It is my firm opinion that, accordingly, the date of publication should be cited as 1821: the date of the award of the prize, and not 1833 which was the date of its re-publication in a bound archive of science papers.

Previously, the discovery of fossils of tropical species in both temperate and cold climates had puzzled geologists.  There had been much philosophical speculation about the possibility of the movement of the continents or of our planets axis and about the possibility of changes in climate.  Variations in Earth's orbit had been discussed as a possible driver of climate change but were not thought to be capable of much effect.   The general consensus of natural philosophers was that the climate could not have changed much in the past as no physical means was known which could cause it.

Ignaz Venetz showed, for the first time, conclusive proof that the climate had beyond doubt changed multiple times.  It was some time before there was a Kuhnian paradigm shift from the view that the climate had never changed to the current view that it has always changed.

Ignaz Venetz was the first person to formulate a sound hypothesis, backed by evidence, to show to a high degree of certainty that periodic climate change was a fact.  Accordingly, he deserves to be credited with that remarkable scientific achievement.

For further information, please see part 1.
For my translation into English, please see part 3.

For the benefit of other researchers I am pleased to publish here, as a plain ASCII text document, Venetz's prize-winning essay.   I have retained the original pagination so as to preserve the original internal page references.  The inserted image is placed where it was in the original: between pages 24 and 25.

[edit] - formal citation for the paper is

I. Venetz, Memoire sur les variations de la température dans les Alpes de la Suisse (Rédigé en 1821), Mem. Soc. Helv. Sci. Nat. 1 (2) (1833) 1-38.

I. Venetz (1821)  >>>
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    Memoire sur les variations de la température dans les Alpes de la Suisse.
    Par M. Venetz, ingénieur en chef du canton du Valais.    Rédigé en 1821.

    Ventos et varium coeli praediscere morem
    Cura sit  .  .  .  .  .  .  .
    Virg.
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    La Société Helvétique des Sciences naturelles s'occupe,  pour la seconde fois, d'une question d'autant plus  difficile à résoudre d'une manière satisfaisante, que plusieurs causes se réunissent pour offrir des obstacles à celui qui voudroit le tenter.
    Le terme donné paroîtra d'abord trop court, si l'on considère la nature des recherches qui, rarement consignées dans  les annales, ne peuvent être recueillies que difficilement.    Quel temps ne faut-il pas d'ailleurs pour aller au loin examiner les effets produits par la diminution ou l'augmentation des glaciers, comme aussi pour observer et l'étât du pâturage des alpes, et celui de la crue des forêts? Ajouter, qu'il ne s'agît point de faire ces observations comme en courant; mais qu'il est nécessaire   d'y apporter une exactitude rigoureuse, une attention suivie, et ce coup-d'oeil qu'il n'est pas donné a tout le  monde d'avoir.
    Nous sommes loin de nous abuser sur nos foibles talents, et nous n'ignorons point que nous n'avons rien de  ce qui peut conduire heureusement au but: aussi n'aspirons-nous  pas à remporter la palme,   et,   si nous présentons  ce petit mémoire, c'est uniquement pour étendre la question, en rapportant des faits qui, en partie, contrarieront fortement l'opinion générale du refroidissement de nos Alpes.
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    Depuis la dernière grande révolution que notre globe a éprouvée, la température de chaque lieu doit avoir suivi la marche que sa position relative à l'exposition et à l'éloignement du soleil lui aura produite, à moins qu'elle n'ait été élevée ou baissée par d'autres circonstances,
    Or, il nous paroît qu'on ne connoît pas encore ni les variations qui peuvent avoir eu lieu depuis la dite époque, ni les causes qui les produisent, ni les circonstances particulières qui peuvent amener des changements dans la température.
    Si l'on avoit la faculté de prendre la moyenne de la température de toutes les années écoulées, depuis l'époque de la dite révolution, et de toutes les contrées de la surface du globe, peut-être trouveroit-on qu'en général la température n'a point subi de variations; mais en la comparant à des époques moins longues et dans une même contrée, ou se convaincroit au contraire qu'elle a constamment varié.
    Les observations thermométriques de notre air prouvent suffisamment, que la température d'une ou de plusieurs années est bien supérieure a celle des  autres.   Il paroît même qu'un ou plusieurs siècles  entiers ont eu cet avantage sur les autres.
    Quelle étoit, dans les siècles passés, la température de la Suisse?  étoit-elle supérieure ou inférieure a celle de nos jours ?
    Avant de décider cette question,  il faudra encore de longues recherches et bien des comparaisons, en se rappelant souvent ce que Virgile a dit dans ses Géorgiques, livre premier:
    Ventos et varium coeli praediscere morem
    Cura sit   .  .  .  .

    A défaut des observations thermométriques , on doit recourir à des moyens, par lesquels on pourra approximativement juger de l'état de la température des temps reculés.
    Ces moyens sont cependant peu nombreux, et remontent difficillement à des époques assez éloignées, et si l'on n'est pas bien attentif, ils peuvent nous faire donner dans de grandes erreurs; tels que ceux de la détérioration ou de l'amélioration des pâturages. Une montagne qui jadis offroit peu de verdure aux troupeaux, peut avoir changé de nature, par des travaux bien appliqués et maintenus en bon état, sans avoir laissé vestige des ouvrages
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qui ont opéré ce changement. Un ancien acte, qui constate que cet endroit ne nourrissoit autrefois qu'une partie du bétail qu'il peut entretenir aujourd'hui, prouveroit bien l'amélioration du lieu, mais non un changement de température. Il en est de même de la détérioration; une montagne peut avoir beaucoup perdu par la négligence et par des causes inconnues, sans que les effets doivent en être attribués à un changement de température.
    L'état antérieur et actuel des forêts peut conduire à des erreurs encore plus grandes; parce que la même détérioration peut avoir eu lieu sur divers points, sans qu'on puisse en découvrir les vraies causes. Souvent on attribue à la diminution de la chaleur, ce qu'on devroit attribuer a la main destructive des hommes qui, pour s'exempter d'un transport un peu plus éloigné, coupent les sommités des bois et les transportent dans les montagnes pour faire le fromage. Par cette coupe continuelle, les forêts s'éclaircissent de plus en plus; le parcours des chèvres , ce fleau des forêts, empêche la crue des jeunes arbres ; il se forme du gazon, et la semence ne peut plus pénétrer dans la terre. Les vieux arbres, que l'homme a respectés jusqu'alors, périssent isolés à la rigueur d'un froid excessif ; et de cette manière s'opère insensiblement une détérioration des forêts, que l'on pourroit attribuer à un abaissement de la température. Les observations de ce genre ne doivent donc être admises qu'après le plus stricte examen; aussi nous ne citerons que peu d'exemples de ce genre; encore seront-ils accompagnés de quelques autres observations.
    Les faits qui prouvent que des arbres ou d'autres végétaux, que l'homme cherche à conserver, ne peuvent plus réussir dans des lieux où ils prospéroient autrefois ; ou bien, si l'on peut prouver l'existence de forêts dans des endroits, où elles ne pouvoient exister dans les anciens temps.   Ces faits nous semblent admissibles, pour prouver l'élévation ou l'abaissement de la température.
    Si l'on découvre des passages fréquentés dans les montagnes, qui étoient autrefois obstrués par des glaciers; ou des chemins qui, libres autrefois, sont maintenant impraticables: ces faits peuvent aussi être admis, quand ils n'ont pas été produits par des circonstances purement locales.
    Les ruines de vieux bâtiments, les débris de chemins, etc., peuvent souvent donner des éclaircissements sur l'ancien état de nos montagnes.
    Mais rien ne nous paroît plus propre à faire connoître la température des
 temps reculés, que  l'augmentation où la diminution des glaciers, vu qu'elle
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est la suite nécessaire de l'exhaussement ou de l'abaissement de la ligne des neiges éternelles.    Quelques naturalistes *) ont cru que ces changemens dans les glaciers, ne sauroient provenir de la température, puisque l'on voit augmenter les uns pendant que les autres diminuent ; ils disent que la glace gagne d'un côté ce qu'elle perd de l'autre.     Cette idée ne nous paroit pas  admissible, et ce phénomène des glaciers peut être expliqué sans   avoir recours à des hypothèses dont on ne sauroit assigner les causes.
    Il est connu que la ligne des neiges éternelles étoît fort élevée en 1811.
    Les glaciers avoïent considérablement diminué depuis quelque temps, lorsque les années froides de 1815,1816 et 1817 ont rechargé les montagnes d'une masse de neiges très-considérable, qui a fait redescendre cette ligne de plusieurs cents pieds. A cette époque les glaciers qui se trouvoient sur des pentes rapides, chargés d'une nouvelle masse si énorme s'enfoncèrent d'une manière étonnante dans les régions inférieures. Nous avons vu le glacier de Distel dans la vallée de Saas, près du Monte-Moro, descendre plus  de  cinquante pieds dans une année.
    Dans la vallée d'Hérens, un glacier, dit-on, avançoit avec un bruit semblable à celui du tonnerre, faisant à-la-fois des pas de plus de dix pieds de longueur.   Les grands glaciers qui ont peu de pente,  ont dû soutenir cette nouvelle charge et,   gagnant beaucoup en épaisseur,   ils   n'avancèrent que fort peu pendant les dites années.
    Il est naturel que les glaciers, qui descendent avec une grande rapidité dans un climat chaud, se déchargent plus vite de leur surcroît de glace, que ceux qui ne  marchent que lentement.     Il  est donc aussi naturel, que ces derniers doivent encore avancer, quand même il survient une époque de plusieurs années chaudes, qui font déjà reculer les autres ; car leur masse ne diminue pas si promptement.   Comme tous les glaciers reposent sur des bases différemment inclinées, il est certain, qu'ils doivent différemment avancer et reculer.
    Cette observation nous paroît suffisante pour prouver que,   malgré l'apparence contradictoire,   l'augmentation ou la diminution des glaciers  provient de la différence de la température.

   *)   De Saussure, Voyages par les Alpes  §. 54l.     Kasthofer,   dans son  Mémoire   couronné en 1820.
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    L'origine des glaciers avec toutes leurs propriétés a été suffisamment décrite par Messieurs de Saussure, Gruner, Ebel et d'autres. Nous n'entrerons point dans leurs détails, ni dans les difficultés qui se sont élevées depuis, relativement à leur accroissement. Pour prouver au moyen des moraines *) jusqu'à quel point les glaciers sont descendus autrefois, il nous importe peu, qu'ils avancent au moyen de la chaleur de la terre uniquement, ou aussi par la force expansive de l'eau congélante; car dans chaque supposition, la neige et le mauvais temps en sont les causes principales.
    Voilà les éclaircissements que nous avons crus nécessaires pour appuyer nos observations.    Commençons maintenant à citer les
         FAITS
    qui tendent a prouver un abaissement de la température.
    I.  Le  glacier   de  la  dent  de la Forclaz,  dans   le  vallon   de Cheville,  commune d'Ardon en Valais,   couvre souvent une espèce de pont en pierre
que l'on ne peut voir que rarement. Voici comment un membre du grand-conseil du canton de Vaud **) nous a communiqué l'observation qu'il a faite sur les lieux:
   "La   construction,   sur   laquelle   vous  désireriez des renseignements, se trouve au revers de la montagne dite la Chamosenze et située de manière à avoir, au couchant, le glacier de la dent de la Forclaz, qui recouvre souvent cet ouvrage en totalité, même en été, et dont l'eau s'écoule sous une arche vers le levant et traverse la montagne de Dorbon pour atteindre la Liserne ; au nord la tour du Paschieu, au nord-ouest le grand Meuvran, aù sud-est la dent de la Forclaz, au sud la petite dent d'Erchen.  Les bases de ces rochers enceignent un vallon très-étroit, qui ne s'ouvre que du côté de Dorbon.  Les noms que je vous indique sont ceux qu'y donnent les montagnards de Bex , qui donnent aussi celui de Pont à la construction qui se trouve dans cet endroit : elle a soixante et dix pieds de long,

   *) Dans leur accroissement, les glaciers ont la propriété de pousser devant eux, les terres, les  pierres et tous les corps  étrangers ; par  cette  raison   ces matériaux ,  entourent presque toujours le pied de ces énormes masses de glace, en formant un talus d'environ quarante-cinq degrés.   Lorsque les glaciers diminuent, ces espèces de ramparts ou enceintes, qu'on apelle  Moraines, restent sur place, formant le même talus dans l'intérieur, soit contre le glacier.

   **) M. Favre, directeur des salines à Bex.
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dix-sept de hauteur au milieu, et neuf de largeur.   Je n'ai vu qu'une seule arche assez étroite qui étoit en partie encombrée par  la neige.     Le tout est construit en cailloux bruts,   qui  ne  sont pas même choisis avec soin, et ne paroissent pas avoir reçu de mortier.     Le  pont se dirige depuis le revers   de  la  montagne  de  la   Chamosenze  par-dessus le lit de   l'eau du glacier,   à une colline arrondie qui,   quand je l'ai vue,   étoit dépouillée de végétation, mais qu'on présumoit avoir été anciennement un pâturage où l'on conduisoit les vaches de la Chamosenze, au moyen du pont qui auroit été construit  pour cet usage.     J'ai négligé de noter la  date où j'ai fait  cette course, elle est d'environ vingt ans.     Dès-lors on m'a dit que les paysans de Chamoson et d'Ardon donnent a cette construction le nom de Barre et qu'ils croient qu'elle a été entreprise et non achevée par des  moines vêtus de blanc , dans le but, s'ils avoient pu la terminer,   de faire refluer l'eau du glacier  sur la montagne de la  Chamosenze pour la conduire  dans   des propriétés qu'ils avoient, dit-on, au pied de cette montagne.     On pourroit peut-étre  recevoir quelques informations à ce sujet des   vieillards   de   ces villages,   et savoir s'il y a dans ces communes quelques  documens qui se rapportent, soit à la construction, soit aux moines."
    Les religieux vètus de blanc, qui eurent des propriétés dans la commune de Chamoson, tiroient leur eau par un conduit venant de la Liserne, dont on voit encore des traces; nous doutons cependant que la prise de cette eau ait été faite si haut ; mais quel que fût le but de cet ouvrage, il est certain qu'on ne l'auroit pas entrepris, si l'on eût pu présumer qu'un glacier dût le détruire.
    II. Le col de Fenêtre, dans la vallée de Bagnes, paroît avoir été fortement pratiqué anciennement. On y trouve encore les débris de deux bâtiments et des ossements humains. On croit que c'étoit des retranchements que le Valais avoit faits pour fermer ce passage, ainsi qu'on le voit encore au Trient, à la Tête-Noire et ailleurs *).
    Monsieur le chanoine de Rivaz, a trouvé, parmi les écrits de la commune de Bagnes, plusieurs titres qui constatent que cette commune possédoit le droit de libre commerce avec le Piémont, en passant par la Charmontanaz

    *) En 1822 nous avons passe ce col, les deux bâtiments ne paroissoient être  que des anciennes remises ; c'est donc pour un commerce, nul aujourd'hui, qu'un les a construits.
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et le col de Fenêtre, malgré les protestations que les propriétaires du droit de remise (de Souste), établi sur la route du grand St.-Bernard, faisoient contre ce droit. Ce savant antiquaire nous a aussi communiqué la copie d'un acte qui établit la probabilité du passage d'une armée de Savoyards *) par le col de Fenêtre au mois d'Avril 1476  **).
    Il est maintenant bien rare de voir passer des mulets par ce col, le chemin y étant devenu très-difficile. Il paroît que, dans ce temps-là, on n'avoît pas besoin de traverser le glacier du Montdurant, comme à présent.
    III. Dans les dites archives, ce même M. de Rivaz a aussi trouvé un acte qui parle d'un procès, que la commune de Bagnes eut avec celle de Liddes relativement a une forêt, située sur le territoire de Bagnes, et dont Liddes revendiquoit la propriété.
    Cette forêt n'existe plus ; un énorme glacier y a succédé et la communication entre Liddes et Bagnes est entièrement détruite dans cet endroit.
    IV. Depuis Praborgne (Zermatt), vallée de Viège (de St.-Nicolas) il y avoit autrefois un passage très-fréquenté pour arriver dans la vallée d'Hérens.

   *) M. de Rivai  croit que c'étoit plutôt des Lombards.
   **) Voici une partie de cet acte,  dont l'original se trouve dans les archives de Bagnes:
   "In nomme Sanctae et individuae Trinitatis, Patris et  Filii et Spiritûs Sancti.    Amen."
   "Anno a Nativitate Domini nostri Iesu Christi 1476 Indicatione nova , die autèm 19 mensis aprilis , in Valle de Bagnies ante Grangium Antonii de Accre per hoc praesens publicum Instrumentum cuntis pateat evidenter et sit manifestum. Quod cum nuper eo tempore quo pro Restauratione terrae ab antiqua pertinensis Ecclesiae Sedunensi Exercitus armatorum Vallesii descenderat per Chablesium et apprehenderunt quotque plura castra et villas usque ad Martigniacum inclusive.   Accidit quod homines Vallium de Bagnies et Intermontium se reddiderunt Reverendissimo Domino nostro Sedunensi Episcopo et Patriotis terrae Vallesii et itaque sub jurisdictione et ptotectione eorundem permanserunt usque ad istos dies proxime elapsos, infra quod modicum tempus nonnulli ex praedictarum Vallium hominibus actu proditorio procubabant quod multitudo armatae Sabaudorum ex Valle Augusta intrabant et apprehenderunt praenominatas Valles Intermontium et de Bagnies et quosdam exstipendiariis Vallesiensibus interfecerunt adjutorio multorum ex praedictis Vallibus incolarum. Et quia pro agenda vindicta illius actûs nequiter perpetrati  et pro restautatione Vallium Patriotae Vallesii modo cum potentia intrabant ipsas Valles et Sabaudorum armatos expulserunt, et quaedam ex Villagiis Intermontii ignis incendio consumarunt , et denique ambas easdem Valles Spolio castigabant. Sic interventu proborum et discretorum hominum, qui missi fuerunt super Vallem de Bagnies partes infra scriptae scilicet, etc."
    (Suit un grand nombre de noms.  Bagnes étoit tenu de payer aux sept  dixains du Valais une somme annuelle de 70 livres maurisoises.)
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A Evoléna, le dernier village du dixain d'Hérens, on trouve encore des familles originaires de Praborgne (Zermatt) et réciproquement. En 1816 le 20 Avril, cette dernière commune a racheté du chapitre de Sion une redevance provenant d'une procession annuelle, que cette commune faisoit jusqu'à Sion, en passant par les vallées de Tzmut et d'Hérens.  La montagne qui sépare ces deux vallons, est actuellement couverte de glaciers, qui rendent ce passage tellement dangereux que les chasseurs les plus hardis ont de la peine à pénétrer d'une vallée à l'autre ; nous ne connoissons que le seul Joseph Perren qui, de nos jours, ait traversé cette montagne.
    La commune d'Evoléna doit aussi avoir des titres par lesquels elle prouve, qu'elle- possédoit le libre commerce avec le Piémont.   Le passage entre ces pays et la vallée d'Hérens est encore plus difficile que celui du col de Fenêtre.
    V. De la vallée de Loetschen en Valais, on ne peut passer qu'à pied dans celle de Gastern, canton de Berne; tandis que le passage étoit autrefois ouvert aux chevaux.  Monsieur le capitaine Gattlen, de Rarogne, y a vu des murs encore existants qui soutiennent ce vieux passage, connu sous le nom de Trattern.  Le dit M. Gattlen a trouvé, à Gampel, un acte qui indique clairement que le gouvernement étoit intéressé à faire maintenir cette issue.
    VI. Depuis Fiesch (Viesch), vallée de Conches en Valais, il y avoit autrefois un passage fréquenté qui conduisoit par le vallon de Fiesch (Viescherthal) à Grindelwald.  Dans cette commune on montre encore une cloche portant le millésime de 1044 *), laquelle, d'après les rapports des habitans, étoit suspendue dans la chapelle de St.-Pétronille, située sur ce passage. Du côté du Valais, on trouve encore des traces du chemin qui conduisoit à Grindelwald.
    Cette issue est maintenant tellement obstruée par des glaciers, qu'elle est devenue impraticable. A l'époque où le Valais appartenoit à la France, des contrebandiers ont essayé plusieurs fois d'y pénétrer, même avec des cordes, mais toujours sans succès.
    VII. Dans le vallon de Grub (Grubthäli), qui domine les mayens **) de Gruben et Meiden, vallée de Tourtemagne, on trouve encore , selon le témoignage de Messieurs les notaires Inalbon, qui l'ont vu avec beaucoup

   *) Ebels Anleitung die Schweiz zu bereisen.  S. Grindelwald. Dritte Auflage.
   **) En allemand: Mayensitz.   Grand châlet, où les pâtres demeurent pendant l'été avec toute leur famille.
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d'autres , un grand trajet de chemin pavé, conduisant par le vallon , dit Augstkumme, dans la vallée de St.-Nicolas. On prétend que Meiden et Gruben étoient des villages ; on y trouve encore des scories de forge. Le passage par l'Augstkumme est abandonné aux chasseurs de chamois. On ne sait à quoi rattacher un chemin pavé dans ce lieu-là.   La plaine étoit-elle impraticable à l'entrée de la vallée de Viège? ou bien, y avoit-il tant de villages sur la hauteur, que ce chemin ait été nécessaire ?
    VIII. On connoit encore sur chaque flanc du Monte-Moro le chemin à cheval qui, autrefois, de la vallée d'Anzasca (Vallis Antuatium) alloit aboutir à celle de Saas en Valais. On y trouve encore des trajets pavés d'une demi-lieue de longueur.
    Un second chemin conduisoit pareillement de la vallée d'Antrona à Saas.
    D'après un manuscrit, espèce de chronique de la vallée de Saas *), ces chemins étoient déjà très-vieux en 1440 **). Il y est dit, qu'en 1515 il s'étoit élevé un procès entre les habitans de Saas et ceux d'Antrona. Le juge étoit de Lucerne; mais comme en ce temps-là les Suisses avoient occupé les frontières voisines de l'Italie, où le cardinal Schinner avoit paru en guerrier, la condamnation de ceux d'Antrona à l'entretien de ce chemin n'a pas eu d'effet.
    Dans la première moitié du XVIIe siècle, la température s'est beaucoup abaissée et les passages sont devenus très-difficiles. A cette époque le lac, formé par le glacier de Distel, a rompu pour la première fois. Encore dans le XVIIIe siècle et: notamment en 1719, 1724, 1790, on s'est donné

   *) Die Geschichte des Thales Saas; aus etlich bundert Schriften zusammengetragen. Von Peter Joseph Zurbrüggen , Beneficiat zu St. Antoni von Padua.
   **) Voici ce que ce manuscrit dit à  cet égard:
   "1440 wurde von den Saasern und denen von Antrona die uralte Strafse uber den Berg hergestellt ; beyde mufsten ihren Theil erhalten bis auf den Gipfel des Berges."
   En 1440 le très-antique chemin de la montagne fut réparé par les habitants, de Saas et d'Antrona , chaque partie fut obligée d'entretenir sa part jusqu'au sommet de la montagne.
   Dans un autre endroit, chapitre des objets remarquables,  il dit:
  "Auf Antrona und Makunaga passirte man vor Zeiten haufig mit Pferden , mit allerhand Vieh und vielen Kaufmannswaaren , und wurden schon im Jahr 1440 uralte Passe genannt."
   Autrefois on passoit fréquemment à cheval, avec toute sorte de bétail et beaucoup de marchandises sur Antrona et Macugnaga. Déjà en 1440 on regardoit ce passage comme très-antique.
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beaucoup de peine ; on a même fait des frais considérables pour réparer le chemin d'Antrona, afin d'y pouvoir transporter du sel et d'autres marchandises ; mais ces réparations étoient chaque fois de peu de durée.
    Nous connoissons cependant plusieurs particuliers de Saas qui ont connu des personnes de la vallée qui, à dos de mulets, ont transporté du vin depuis Macugnaga à Saas. Il est vrai que, dans ces derniers temps, on traversoit déjà  un glacier, qui a tellement augmenté depuis, que ce chemin ne peut plus servir aux chevaux.
    On voit encore les places où l'on faisoit halte pour donner à manger aux bêtes de somme.
    Il est évident, que ce chemin n'auroit pas été ouvert à grands frais, si, dans ce temps-là, un glacier eût existé sur ce passage ; car on auroit prévu que d'un moment à l'autre il l'auroit rendu impraticable.
    IX.  Depuis 1811, il s'est formé un nouveau glacier dans le lieu dit Budumynen, situé sous le Galenhorn , vallée de Saas.  Jusqu'alors on n'avoit jamais entendu parler de l'existence d'un glacier dans cet endroit. C'est Joseph Venetz, propriétaire de ce lieu, qui nous a communiqué cette observation.
    X. Le glacier de Rothelsch, qui domine le nouvel hospice du Simplon, n'est pas vieux. Monsieur Escher, curé de Biel et natif du Simplon, nous a dit, qu'il a trouvé des écrits à l'Hospice qui prouvent que ce glacier n'existoit pas en 1732.   M. Joseph-Antoine Escher, aubergiste à Brigue, qui pendant sa jeunesse a demeuré dans l'ancien hospice du Simplon, et plusieurs autres particuliers de cette contrée se souviennent encore fort bien, que dans leur jeunesse il n'y avoit qu'un petit amas de neige.
    Aussi Monsieur de Saussure *) a vu des glaciers d'une formation récente.
    XI. Lorsqu'on a ouvert la nouvelle route du Simplon, des racines d'arbres ont été déterrées sur le sommet de ce passage. Un endroit près du point culminant s'appelle: Au Mélèse (im Lerch), dans lequel il n'existe plus d'arbres.   La destruction du bois, dans ce dernier lieu, nous paroît  l'ouvrage des hommes, puisqu'au fond du dit endroit, on rencontre encore des troncs de mélèse ; mais les racines trouvées sur la hauteur du Simplon doivent indiquer un refroidissement ; puisque l'on ne trouve plus d'arbres à

   *) Voyages par les Alpes, §.  541.    
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cette hauteur, même dans les endroits inaccessibles, à moins qu'ils ne soient pas exposés aux vents froids, comme cela arrive sur la hauteur du Simplon.
    XII. Vers le glacier de la Valsorée qui domine le Bourg St.-Pierre, vallée d'Entremont, on a vu, à une grande distance au-dessus des forêts les plus élevées, un tronc d'arbre d'une grosseur extraordinaire. Monsieur le grand-juge de Lasoix de Sembrancher l'a vu, ainsi que feu Monsieur le prieur Murith, et d'autres. Il est très-probable qu'il s'y trouve encore *).
    XIII. Clément Roten de Savièse, vieillard encore vivant, a trouvé dans sa jeunesse sur la hauteur de la montagne du Sanetsch un très-gros tronc d'arbre, qui a servi quelque temps à fabriquer le fromage de cette montagne.
    On n'a jamais entendu dire qu'il existât des arbres sur la hauteur du Sanetsch, qui a environ une lieue de traversée. De chaque côté de cette montagne, même dans les lieux le plus abrités des vents froids, et dans les endroits inaccessibles, la crue des forêts ne dépasse pas actuellement la hauteur de ce passage **).

    *) "En 1811 M. Jean Etienne Moren, président de la commune de Bagnes, a rencontré en Boussina, à une portée de fusil du glacier de Breuncy, un tronc de mélèse de douze pieds de circonférence.   Maintenant les derniers arbres languissent à deux lieues du dit endroit."
    "En 1826 à Loui, montagne qui domine la région des forêts, le même M. Moren a déterré un arbre tout entier, en saignant un marais.   C'étoit un arole (pinus cembra) dont le blanc avoit disparu ; mais le rouge se trouvoit aussi sain que de son vivant."
    "On croit  que  ce   témoin   d'une   température élevée  faisoit partie d'une   forêt   qui   jadis existoit  plus  haut au-dessous des rochers de Lombard.     M. le président l'a derechef fait enterrer pour servir de digue , où il se conservera pour les siècles avenirs.     Il ne sera pas difficile de le voir,   étant  dans  une place connue, et facile à être débarrasse de  la terre qui le recouvre."
    **) M. Gruner cite des observations semblables. Voici ce que l'on trouve dans la tradition françoise de M. de Kéralio , pag. 329 et 330:
    "Les habitans de la vallée de Hasli, au canton de Berne, se plaignent que les amas de glace, ayant augmenté peu à peu, se sont emparé de vallées entières, et ont couvert des terres fertiles.  D'anciennes chartres prouvent en effet que la vallée des Fleurs-de-Lis, sur le Gauli, s'étendoit autrefois par le Gletscherthal jusqu'au Grindelwald. Les Grindelvaldois se plaignent qu'un de leurs vallons, qui est aujourd'hui rempli de glace, étoit accessible autrefois, et qu'on y passoit pour aller aux bains de Ficher (Viesch) en Vallis (Valais).  Ceux de Lauterbrounnen assurent que les côtes de leurs montagnes étoient revêtues jadis de beaux pâturages; qu'Ammerten étoit un gros bourg, et le val Rouge (Rothethal) un passage pour se
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    XIV. Près de l'église paroissiale de Taerbel, vallée de Viège, la propriété nommée : Zur Stapfen, devoit annuellement à l'église principale de Viège une certaine mesure d'huile de noix, provenant des noyers qui se trouvoient autrefois sur cette propriété si élevée, où maintenant il n'existe qu'un cerisier languissant.
    XV. En Fribusi, entre les deux Pontis à l'entrée de la vallée d'Anniviers, le Sieur Joseph Salamin, vieillard de Luc, a encore vu des vignes vivantes , il y a plus de cinquante ans.   Le même a vu, en ce dernier lieu, un grand cerisier à bon fruit et au-dessous de ce village un jeune noyer.  Maintenant on ne trouve aucun arbre fruitier à cette hauteur (à Luc), ni aucun vestige de vigne en Fribusi.
    XVI.  Au-dessus du village de Pont-Neuf, vallée de Viège, dans un endroit nommé Gub, nous avons trouvé des ceps de vigne vivans.   Le Sieur Joseph Venetz, meunier à Pont-Neuf, en a fait transporter quelques-uns qui ont bien réussi.  Ils sont de l'espèce connue sous le nom de Heidenwein (vin des Païens), qui est propre à la montagne de Visperterminen.
    On y voit des murs de soutènement et des fossés de vignes, usités en ce pays pour ce genre de culture.
    On n'a aucune relation par laquelle on puisse connoître l'époque où ces vignes furent labourées ; ce lieu est considérablement plus élevé que toutes les vignes actuelles de cette vallée, et probablement de toute la Suisse.
    Dans les environs de Pont-Neuf, il se trouve en plusieurs endroits des vignes et des champs abandonnés.

"rendre à la vallée de Froutiguen et dans le Vallis ; mais qu'aujourdhui tous ces lieux sont ensevelis sous les glaces.    Les habitans de Siebenthal disent, que les glaces des monts Ghelten et Raetzli s'emparent peu à peu des terres fertiles.    Le Faucigny, le Vallis , le canton d'Ouri,   et celui de Glarus   retentissent   de   pareilles plaintes,   et  la  plupart   sont   confirmées   par  des   chartres authentiques.    J'examinerai à cet égard l'amas de glaçons du Grindenwald; on pourra  juger par celui-ci de tous les autres."
    "Selon la tradition orale, cet amas subsiste depuis un temps immémorial ; mais les vallées  qu'il remplit aujourd'hui ont eu beaucoup de pâturages : on a d'ailleurs des preuves certaines  qu'il s'est emparé de terres fertiles.   Sur la côte du Ficherhorn (Viescherhorn) et de l'Eigher , au milieu de la glace, on voit plusieurs troncs de mélèse, qui sont là peut-étre depuis plusieurs siècles.  On sait que ce bois a la propriété de se durcir à l'humidité ; ceux qui ont monté jusqu'à ces troncs, disent qu'on ne peut en détacher la plus petite partie avec le couteau le mieux aiguisé."
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    Sur la montagne de Visperterminen au-dessus des forêts les plus élevées, il y a un endroit appelé: im Heiden. La tradition populaire porte, que ce local étoit jadis un vignoble, d'où provenoit le Heidenwein mentionné dans cet article *).
    XVII. Plusieurs ouvrages sur le Valais citent Brigue et Moerel pour des pays de vignoble **). Il y en a même qui disent qu'ils produisoient un vin excellent. Il n'y a cependant que quelques ceps isolés ou plutôt sauvages, et quelques treilles devant des maisons ; mais les raisins n'y mûrissent que diflicilement.
    Nous croyons que cette erreur vient de Simler, qui a prétendu que les vignes commencent à Moerel.   Le vignoble de ces contrées, éloit-il renommé dans son temps, du moins avant lui ?  On pourroit le croire, d'après ce que nous venons de dire, et les noms de Weingarten (vigne) que l'on donne à un endroit près de Naters, et à un autre près de Gliss, confirment, quoique foiblement, cette supposition.
    XVIII. Monsieur le capitaine Willisch de Stalden, mort cette année (1821) à l'âge de 88 ans, a trouvé dans sa jeunesse au lieu nommé Galen, près de Mattwald, vallée de Saas, un cep de vigne vivant et cela à une élévation où il ne croît pas maintenant des cerisiers. Il existe encore aujourd'hui nombre de personnes à qui il a - rapporté ce fait.
    XIX. Dans le village de Fang, vallée d'Anniviers , on trouve encore quelques ceps de vigne devant des maisons ; mais depuis environ 30 ans on ne se rappelle plus que le raisin y ait pu mûrir.
    XX. Il existoit autrefois un petit village à la montagne de Pauchette, même vallée.  On y voit encore plusieurs fondements de bâtiments, et des limites divisant les prés en très-petites parcelles. Des personnes vivantes y ont vu un cerisier. Maintenant il n'y croît qu'un peu d'herbe, des sapins et des mélèses.
    Ce fait ne prouve cependant pas aussi bien un refroidissement, qu'il le paroît au premier abord.
    En parcourant les environs de cet endroit, nous avons trouvé un chemin passablement large, qui indique, qu'avant l'ouverture de celui qui traverse

    *)  Le cep de  ce vin diffèr  entièremcnt de toutes les  qualités à  nous  connues.
    **)    Statistischer Versuch uber  den  Canton Wallis.   Pag. 103. Ebels Anleitung  die  Schweiz zu bereisen.    Art. Brieg.
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les deux ravins affreux de Pontis, où le chemin est taillé dans un rocher presque perpendiculaire, on entroit par Pauchette dans la vallée d'Anniviers.
    Nous avons aussi trouvé de longues traces de deux aqueducs, qui servoient à conduire les eaux depuis la montagne de Sandolin en Pauchette. Ce chemin et les conduits d'eau ont été détruits par le ravin de l'Illgraben, qui se prolonge toujours de plus en plus contre Anniviers, en poussant les débris de cette montagne jusqu'au Rhône, près de Louèche.
    XXI. En montant de Riddes sur le col d'Etablon, près de la pointe de Pierre-à-Voir, on trouve au sommet de cette montagne le rosage ferrugineux (rhododendron ferrugineum) qui a péri sur une hauteur d'environ 200 pieds. Nous avons pareillement observé que le gazon et l'azalée couchée (azalea procumbens) sont morts dans toutes les hautes montagnes, comme à Pierre-à-Vire, sur le Mauvoisin, à Bagnes ; sur les alpes d'Albinen, près des bains de Louèche ; dans lès sommités de Tion, près de Sion, et ailleurs. Cette destruction est cependant récente et provient des années froides de 1815, 1816 et 1817.
    XXII. La destruction, dont nous venons de parler, a singulièrement influé sur les pâturages des alpes; la seule montagne de Charmontana dans la vallée de Bagnes, qui nourrit en été cent et vingt vaches, a perdu la nourriture d'une journée à chaque châlet qu'elle a à Tzanrion, à la grande et petite Charmontana : châlets où les vaches restent périodiquement pendant l'été.
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    Il paroît cependant que les progrès de ce refroidissement tendent, pour cette fois-ci, à leur fin ; la ligne des neiges éternelles est remontée de beaucoup, depuis 1818, et les glaciers suivants, qui commencent déjà à reculer, l'annoncent pareillement.
    A. En Août 1820, nous avons observé que le glacier inférieur de l'Allée-Blanche n'avançoît déjà plus, ainsi que celui de Brenva qui avoit cédé 50 pieds de terrain après avoir atteint les ruines d'une chapelle, que M. de Saussure cite dans ses Voyages par les Alpes §. 855.
    B.    Dans le même voyage, nous avons pareillement observé, que le glacier de Fribouge, dans la vallée d'Entrèves, au-dessus de Courmajeur, avoit aussi reculé de plusieurs pieds,   de même   que  celui  de  Triolet près du col de Ferret.
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    C. En même temps nous avons examine le glacier de Breuney dans la vallée de Bagnes. Dans des endroits il touchoit encore la moraine, qu'il a poussée devant lui, dans ceux qui étoient plus exposés au soleil, il se trouvoit de quelques pieds en arrière ; il a diminué considérablement en largeur. Le glacier de Hautemma, au-dessus de Tzanrion, même vallée, étoit de douze pieds derrière la nouvelle enceinte.
    D. Au mois d'Octobre 1820, nous avons vu, que le glacier de Chalen ou Tzalen, descendant de la Dent-du-Midi près de St.-Maurice contre le Val-d'Illier, avoit beaucoup diminué. Ce glacier se trouve sur une pente très-rapide, et prouve ce que nous avons dit au commencement de ce mémoire, savoir, que les uns reculent déjà, pendant que les autres avancent encore.
    E. En Août 1821, nous avons observé que l'extrémité droite du glacier de Prafloray, dans la vallée d'Héremence, étoit de dix pieds en arrière de la nouvelle moraine, tandis que, sur la gauche, il la touchoit encore. Cette différence provient de sa position relativement au soleil, et prouve en même temps que le glacier n'avance plus.
    F. Au mois de Septembre suivant, le glacier du Durant-en-Tzina, dans la vallée d'Anniviers, avoit reculé de six pieds du dernier boulevard qu'il avoit formé à sa base.   Enfin, d'après ce que les montagnards disent, tous les glaciers ont perdu en épaisseur, pendant les trois dernières années. Tous ceux que nous avons eu occasion de voir plusieurs fois, depuis 1818, nous ont confirmé cette observation.
    Il est très-remarquable que, malgré leur diminution en épaisseur, beaucoup de glaciers, même la plupart, avancent encore considérablement *). Cette circonstance vient à l'appui de ce que nous avons dit, page 4, que les grands glaciers de peu de pente gagnent beaucoup en épaisseur à la suite  de quelque mauvaises années, et qu'après une amélioration de la température,  ils suivent encore leur marche progressive pendant que les autres battent déjà en retraite.
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    Voila vingt-deux faits qui tendent à prouver un refroidissement. Il nous auroit été facile d'en citer davantage.   Si nous avions eu le temps de faire les recher-

    *)   Celui d'Aletsch, le plus etendu et peut-être le plus plat de tous ceux de la Suisse, étoit,  même  en 1828,  dans  ce cas.
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ches nécessaires, et si nous voulions ajouter foi à des traditions populaires, nous citerions une infinité de cas pareils. C'est ainsi qu'on dit, que la commune de Visperterminen payoit des dîmes de raves à la cure de Viège, pour, une place maintenant occupée par le glacier d'Ans; celle de Moerel à la cure d'Ernen, un impôt pour des vignes situées au-dessus de la Blauen-Egguen, dans un endroit stérile ; qu'en Allelin, vallée de Saas, on cultivoit des vignes dans un emplacement, où le glacier de Distel touche maintenant, etc.
    La plupart des faits   que nous  avons cités sont rapportés sur la foi de  particuliers de probité, et dont nous avons nommé plusieurs.   Ces faits gagnent cependant d'autant plus de confiance qu'ils s'accordent à étayer la même cause, malgré leur variété et l'éloignement des lieux où ils ont été observés.
    Essayons maintenant, si nous ne trouverons pas des
    FAITS
    qui tendant à prouver une élévation de la température.
    Ces faits seront plus solides; nous avons vu la plupart de ceux que nous allons alléguer. Des naturalistes distingués en ont vu une partie avec nous, et nous ne parlerons que de quelques-uns, qui ont été remarqués par d'autres célèbres naturalistes.  Nous n'avons cependant que d'anciennes moraines a citer; car nous n'avons pu découvrir d'autres documents a cet égard.
    Beaucoup de voyageurs qui visitent les hautes Alpes, font le tour du Mont-blanc, en passant par les cols du Bonhomme, de la Seigne et de Ferret. Nous croyons donc devoir commencer par les glaciers, qui sont le plus à la portée des observateurs.
    1.    Dans la vallée du Mont-Joie *) en Savoie, au-dessus du pont en pierre que l'on  passe, après avoir quitté  le village de Contamines pour gravir le Bonhomme, on voit sur sa gauche  un monticule couvert d'une épaisse forêt  de  sapins, dans  laquelle un petit ravin,   occasionné par le   creusement du torrent du Bonhomme, laisse entrevoir que le sol de ce monticule est composé de débris.
    En montant plus haut, on découvre les chalets de la Giéta, bâtis entre trois anciennes moraines, bien distinctes, que le glacier de Trelatête avoit poussées jusque là, et dont le dit monticule fait partie.   Le glacier est maintenant à

    *)   Vallée du Bonhomme,  Bourrit.
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environ  7000 pieds des dits   chalets.     Il paroit avoir atteint   une moraine plus récente.
    2. Environ une demi-lieue plus haut, sous les rochers rouges, situés entre la pointe de la Pinna et les chalets des Prés, même vallée, on voit, a quelques cents pieds l'une de l'autre, deux élévations presque parallèles prolongées jusqu'au fond de la vallée, et formant entre elles une espèce de berceau. Ces  élévations se terminent en arête, dont les deux faces inclinent d'environ quarante cinq degrés, preuve que ce sont des moraines. Sur une de ces arêtes se trouve une grosse pierre déposée la, sans doute par un glacier qui en même-temps les aura formées.
    Ce glacier dont le site étoit exposé au midi, a disparu et nous doutons que l'on ait aucune relation de son existence *).
    Nous croyons qu'il a occupé tout remplacement où se trouvent les châlets de la Berme. Il paroît cependant qu'il y a bien long-temps que ce glacier a quitté cet endroit, puisque le temps a fait de profondes excavations dans une grosse pierre située à côté d'un chalet de cette montagne.
    3. Les glaciers de l'Allée-Blanche ont des grandes moraines, dont celle qui traverse le vallon est coupée par le milieu, pour donner passage au torrent du col de la Seigne ; cette moraine est encore à une grande distance du premier glacier qui, jusqu'à ce jour, n'est pas descendu dans la plaine. La moraine de l'autre glacier est plus petite, non loin de la glace actuelle. Il est hors de doute que les deux glaciers se touchoient autrefois.
    4. Sur l'extrémité gauche du lac de Combal, qu'on appelle aussi lac de l'Allée-Blanche, et sur la droite du glacier de Miage, on distingue au moins trois moraines, qui ont probablement formé ce lac. Pour régler son écoulement, on a fait  une écluse avec des barrières, sur lesquelles se trouve un petit pont, au moyen duquel on arrive sur la moraine de ce glacier, que l'on suit sur une longueur d'une lieue, exposé sans cesse au danger d'être écrasé par les pierres, qui roulent constamment du sommet de cette moraine qui domine le chemin sur 100 à 150 pieds de hauteur **).
    Les pierres roulantes ont presque détruit les arbres qui ont cru sur cette ancienne moraine.

   *)   Nous citerons encore deux glaciers qui n'existent plus.   Voyes les numéros 10 et 33 ci-dessous.
   **)   Voyez de Saussure Voyages par les Alpes §. 855.
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    Le danger que l'on court en passant par cet endroit, pourroit faire croire que le glacier est aussi avancé qu'il l'étoit autrefois, et que les anciennes moraines de sa droite sont restées en arrière, par la simple résistance qu'elles offrent à ce glacier. L'observation suivante pourroit cependant lever ces doutes, et nous faire voir qu'il n'y a rien de particulier.
    En passant par cet endroit, on voit que le torrent creuse fortement au fond de ce vallon, et quand on réfléchit que cette cause y agit depuis des siècles, on peut croire qu'elle a détruit une grande partie de ces moraines que le glacier avoit formées autrefois et qu'elles pouvoient, dans le principe, correspondre à celles du lac.
    D'autres moraines couvertes de grands arbres, qui se trouvent sur la gauche du glacier, environ à 300 pieds de la glace, prouvent encore qu'autrefois il étoit plus grand qu'aujourd'hui, et que le trajet le long du chemin fut réellement diminué par les excavations du torrent. Une rupture du lac de Combal qui, à cette époque, devoit être bien grand, pourroit aussi l'avoir emporté subitement; et si, dans les parties inférieures de la vallée, l'on découvre des vestiges d'une grande inondation, nous aurions indiqué la cause sans avoir connu les effets, le trajet entre Courrnajeur et Aoste nous étant entièrement inconnu.
    5. La grande moraine qui se trouve sur le flanc droit du glacier de Prenva, même vallée, n'a pas été partout surmontée de sa glace en 1820 ; puisque environ un tiers de la forêt, qui s'est formée sur cette moraine, n'a pas encore été écrasée par les pierres que ce glacier entraîne avec lui.
    En longueur, ce glacier avoit atteint la dernière moraine connoissable ; il commence à reculer après avoir renversé les restes d'une chapelle et des arbres d'une grande taille, dont les anneaux de l'âge que nous avons comptés sur deux troncs donnent à l'un 200 et à l'autre au-delà de 220 années, preuve qu'il y a plus de deux siècles que ce glacier n'a plus eu la même étendue qu'aujourd'hui.
    Ici se présente une circonstance un peu difficile à résoudre,
    Le Mont-Chétif, contre lequel le glacier de Prenva commence à s'adosser après avoir traversé toute la vallée de l'Allée-Blanche, est calcaire. On trouve cependant vis-à-vis de ce glacier des blocs de granit à une hauteur considérable. Comment ces granits ont-ils été déposé dans ce lieu, si ce n'est par le glacier lui-même ?
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En examinant plusieurs des moraines que nous venons de citer, et une partie de celles que nous citerons encore, on croira facilement que ce glacier y a pu déposer ces granits; mais il falloit qu'il eût atteint un volume énorme pour s'élever à cette hauteur, et il est difficile que ce glacier n'aît pas laisseé d'autres traces de moraine sur sa droite, que celle qui existe ; cependant nous n'en avons pu découvrir. Le lac formé par le glacier de Miage, auroit-il été tellement grand en ce temps-là, que, lorsque les glaciers ont reculé, une rupture subite de ce lac auroit détruit les anciennes moraines du glacier de Prenva ?  Nous ne voulons point le prétendre *).  Les environs de ce glacier méritent cependant d'être mieux examinés.
    6.   D'après les dépôts de pierres, épars dans les environs du glacier de Fribouge, vallée de Ferret du côté de Courmajeur, et d'après quelques petites moraines que l'on distingue encore sur le mont opposé, le dit glacier alloit autrefois de 800 a 900 pieds plus loin qu'a présent.
    7.   En Août 1820 nous avons mesuré au pas la distance depuis le glacier d'Ameron **) à la dernière moraine que l'on remarque très-distinctement dans le vallon de Ferret, du côté de Courmajeur; nous avons trouvé 6300 pieds. Une seconde moraine est située à 1200 pieds du glacier, elle est encore couverte de quelques mélèzes, dont deux troncs nous ont indiqué l'âge de 46 à 57 années.  Le glacier avançoit encore, lorsque nous y avons passé, et n'a laissé que la distance d'environ quatre-vingt pieds entre lui et le glacier de Triolet qui commençoit au contraire à se retirer.
    Ici on pourra nous observer, que, par des événements particuliers, les glaciers augmentent d'un côté, en proportion de ce qu'ils perdent de l'autre, en citant le glacier de Triolet qui paroît, au premier aspect, avoir atteint la plus grande étendue qu'il ait jamais eue.
    Un naturaliste nous a fait observer que les glaciers d'Ameron et du Triolet, partant de la même montagne,   pouvoient sortir d'un bassin commun ;   que

   *)    Le lac de Distel, dans la vallée de Saas, est formé par an glacier ;   il a rompu plusieurs fois sa barre  en inondant  toute  la plaine, chaque fois que le  glacier commencoit à diminuer, après avoir atteint un très-grand volume.
   **)   Glacier de Triolet de Saussure, §. 860.   Le guide qui nous a accompagneé dans cette course, nous a  indiqué ce nom ;   il a donne celui de Triolet au  glacier que M. de Saussure  nomme Montdolon : ce dernier doit se trouver sur le Valais.
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l'écroulement d'un rocher, qui couvrit en 1721, le 14 du mois de Septembre, un pâturage au-dessous de celui de Triolet, fit perdre leur équilibre, en vidant plus de glace sur celui-ci qu'auparavant ; par conséquent moins dans celui d'Ameron, qui donneront une raison suffisante de la diminution de ce dernier.    
    Il n'y a d'abord point de communication entre ces deux glaciers , dans leur partie supérieure. Le Mont-Rù les sépare par des parois insurmontables et si hautes, qu'ils n'ont jamais pu se toucher. Comment expliqueroit-on d'ailleurs l'existence de deux anciennes moraines dont l'une est à 1200 et l'autre à 6300 pieds du glacier d'Ameron ? Il faudroit admettre deux écroulements du susdit rocher.   Enfin tous les glaciers qui ont laissé de grandes moraines à un grand éloîgnement de la glace actuelle, auront-ils diminué par des causes semblables ?   C'est ce qu'on aura de la peine à croire.
    Il est facile d'expliquer pourquoi le glacier de Triolet n'a pas des moraines à des distances semblables à celles du glacier d'Ameron; car avant la chute de 1721, le glacier étoit retenu par le rocher comme dans une espèce de bassin ; mais après cette chute, il a dû descendre dans la valleé qu'il occupe aujourd'hui.
    Nous sommes montés depuis la hauteur du col de Grappillon, qui est près de celui de Ferret, sur un rocher, pour nous approcher du glacier de Triolet au-dessus du détroit, où le rocher paroît avoir manqué. Nous avons vu, sur sa droite et environ à mille pieds des glaces actuelles, une grande quantité de débris, qui ressemblent un peu a des moraines. Dans l'intervalle, le rocher est à nu, et semble avoir été nettoyé. Ces circonstances semblent indiquer que le  glacier de Triolet fut, dans sa partie supérieure, plus large qu'il ne l'est aujourd'hui.
    Nous croyons même que dans des temps antérieurs a la chute du rocher il a déjà pu le déborder quelquefois et s'étendre dans la vallée ; car à son extrémité   inférieure actuelle, nous avons reconnu deux petites éminences et une nouvelle moraine, à peu de distance de l'une à l'autre. Ces moraines sont petites, parce que la nature du sol, sur lequel le glacier repose, ne lui permet pas d'entraîner beaucoup de pierres avec lui, le rocher étant très-solide.
    Ces faits prouvent encore que ce glacier avançoit en même-temps que
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l'autre, et que ce n'est que par un accident, qu'il se rapproche plus, que le  précédent, aux débris qu'il avoit poussés autrefois devant lui *).
    8. Le glacier de Salénaz, dans la vallée de Ferret, sur le Valais, a laissé sur sa droite une énorme moraine, dont l'extrémité est, à rue d'oeil, a environ 8000 pieds de celui du glacier actuel.   De loin on distingue facilement que le sommet de cette moraine, qui a au-delà de cent pieds de hauteur, est partagée en deux: preuve qu'elle a été déposée en deux fois. En examinant cette moraine et ses environs, on ne doute nullement, que ce glacier n'ait jadis occupé le village des Plans-des-Fours.   La contrée que ce glacier a abandonnée est maintenant couverte de bâtiments, de belles prairies et de forêts, dont une fort épaisse couvre encore la moraine. Il nous a paru qu'on pouvoit encore distinguer à quelle hauteur cette moraine étoit poussée sur le mont opposé. Ce glacier a nécessairement formé un lac à cette époque, lequel, en s'écoulant, aura causé la terrible inondation dont on voit les vestiges tout le long de la vallée.
    9. Le naturaliste qui visite le lac de Champée devroit se rendre au Grand-plan qui le domine au Midi, où l'invite une vue, sinon unique, au moins très-rare dans son genre. Il est impossible de résister à cette magie du sentiment qu'inspiré la vue d'un spectacle si extraordinaire. En vain tenteroit-on de peindre ce que l'on éprouve sur une scène si pittoresque et majestueuse où se présentent un grand nombre de cimes aëriennes groupées autour de ces géans des Alpes, qui tantôt portent leurs fronts audacieux jusques dans les sombres nuées, tantôt découvrent teur tète couronnée de mille rayons, dont l'éclat, rehaussé par le reflet de glace, transporte l'âme en la remplissant des charmes les plus doux. Si l'effet de ce coup-d'oeil est si prodigieux même sur l'habitant des alpes, accoutumé à voir la nature dans toute sa majesté, quel ne doit pas être le ravissement du citadin ou de celui qui, élevé loin des montagnes, n'a jamais rien contemplé de semblable?
    Ici l'oeil plonge jusqu'au fond de la vallée du Rhône, depuis Verneya jusqu'au lac de Genève; la nappe verdâtre de ce dernier, ses bords enchantés, où se succèdent de loin en loin d'élégantes villes et de beaux villages, les

    *) De Saussure, Voyages par les Alpes §. 863, prouve que ce glacier, même dans sa partie inférieure , devoit avoir autrefois une telle épaisseur , qu'il dominait le sommet d'un monticule qui se trouve au moins de 200 pieds au-dessus de sa surface actuelle.
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riches vignobles du canton de Vaud s'élevant en amphitéâtre, enfin une partie du Jura, qui sert de cadre à ce magnifique tableau, offrent l'aspect le plus varié.
    En promenant à droite ses regards éperdus, il verra d'abord les Tours-d'Aï  qui dominent Aigle et la dent de Morcle sur St.-Maurice ; en face, les rochers escarpés du mont Catogne qui cache les montagnes du Diableret et ses voisins jusqu'à la Béca d'Eudon, puis Pierre-à-Voie qui sépare Bagnes de la vallée du Rhône , les montagnes de Pipinetta qui couronnent Sierre, l'Alt-Els derrière les bains de Louèche, les cimes de Bagnes avec le Mont-Pleureur, le Combin, le Velan, les pointes du St.-Bernard, le col de Ferret se dessinant sur une montagne neigeuse du Piémont.
    On découvre ensuite les sommités d'Orni et de l'Arpetta qui dominent le Grandplan; enfin le mont Revoir, au-dessus de Martigny, et la chaîne de la dent du Midi.
    A ses pieds se trouve le lac de Champée ; Orsières avec ses environs; la contrée de Liddes présente au même coup-d'oeil ses hameaux et ses verdoyantes prairies.
    L'aspect des glaciers nous a offert un intérêt particulier ; car en face, on y voit les moraines de celui de la Chaux de Sarayer au Levant de Verbier dans la vallée de Bagnes, et celui qui s'élève au-dessus d'Alève, paroisse de Liddes, s'étendre à une grande distance au-dessous de l'extrémité inférieure des glaces actuelles. On conçoit aisément que ces remparts doivent être énormes, puisqu'on les distingue à une si grande distance.
    10. Depuis le lac de Champée au Grandplan, la course est pénible. Deux sentiers y débouchent ; l'un part du Levant, l'autre du Couchant du lac. Pour l'ascension, il faut donner la préférence à celui du revers. Nous avons choisi celui qui conduit au Pierrier de la Braya, occupé autrefois par un glacier qui a disparu. Pendant quelque temps on longe le pied de la moraine, en suivant une espèce de couloir. Si l'on gravit les pierres roulées qui se trouvent sur la droite, on arrive sur l'enceinte qui est distinctement divisée en deux.  On y rencontre des arbres d'une haute antiquité. Les moraines ont formé le flanc droit de ce glacier, qui n'a laissé aucune trace dans le souvenir de nos contemporains.
    11.    Les voyageurs qui parcourent la vallée de Bagnes et le glacier du
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Giétroz, devenu si célèbre par la malheureuse inondation du 16 Juin 1818, devroient pousser leur excursion jusqu'à Tzanrion, où ils jouiront d'une superbe vue sur les immenses glaciers de cette vallée *). Pour arriver en ce lieu, on passe par la montagne de Chermontanaz, et après avoir dépassé le glacier de Breuney, on rencontre une moraine qui, en Août 1820, étoit environ à 360 pieds de l'extrémité du glacier du Montdurant ; en montant encore environ 200 pieds, on en rencontre une seconde aussi très-facile a distinguer.  On voit ces enceintes de chaque côté de la Drance, mais sur la gauche de cette rivière, on remarque que chacune est sous-divisée en trois: le glacier du Montduraut aura donc formé chacune de ces moraines à trois différentes reprises.
    12. Depuis Tzanrion on aperçoit distinctement une moraine, qui est à une distance considérable du glacier du col de Fenêtre.
    13. L'extrémité inférieure du glacier de Lirerodzo (du glacier rouge) qui, dans sa hauteur, sépare la montagne du Giétroz de celle de Vingt-Huit, étoit en Juin 1820 environ de 600 pieds au-dessus d'une moraine, qu'il avoit déposée autrefois dans un endroit un peu moins rapide que le reste de cette montagne.
    14. En même-temps nous avons vu sur la droite du glacier de Breuney une ancienne moraine qui est environ à 6 pieds de la nouvelle. Au bout de ce glacier, la nouvelle enceinte touche l'ancienne ; et ce n'est que vers un petit étang qu'on peut à peine en distinguer une seconde.
    15. Le glacier du Crêt au-dessus de Bonachissa, même vallée, a laissé plusieurs anciennes moraines. Un peu au-dessus des châlets du Crêt,  elles sont presque imperceptibles et ne se prononcent clairement que sur la droite. En montant à un quart-de-lieue plus haut, on rencontre une moraine déposée à l'extrémité d'un ancien glacier, dont la partie inférieure entoure une plaine presque ronde et de 300 pieds de diamètre (mesuré au pas).  Un rocher, qui se trouve environ 600 pieds plus haut que l'extrémité de cette enceinte, avoit partagé ce glacier.  Le bras droit couvroit alors la plaine mentionnée ci-dessus. Le gauche qui descendoit presqu'aussi bas, a formé des moraines non loin des autres; mais elles sont plus irrégulières, et encaissent un petit étang.

   *)    Cette vue impose bien autrement quand on monte vers le sommet du col de Fenêtre.
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Sur le dit rocher, on voit aussi des moraines, et maintenant le glacier va expirer environ 1300 pieds plus loin.
    Monsieur Perraudin, conseiller de la commune de Bagnes, habile chasseur de chamois, et amateur de ces sortes d'observations, nous a assuré que les glaciers de Sévereu, de Loui et de la Chaux-de-Sarayer, tous dans la vallée de Bagnes, ont des moraines fort reconnaissables, qui sont environ à une lieue de la glace actuelle ; il dit, que les chalets situés près du glacier de Corbassière *) sont bâtis sur des moraines composées de débris de pierres calcaires, transportées dans ces lieux par le glacier de Corbassière venant du Combin. Les rochers qui composent la montagne des environs des dits châlets, sont verdâtres, appartenant à une autre formation que celle du calcaire du Combin **).
   16. Les moraines du glacier de Rosboden, sur le Simplon, prouvent d'une manière bien frappante la grosseur gigantesque que ce glacier avoit autrefois, étant arrivé tout près de l'endroit où se trouve aujourd'hui le village de Simplon.

   *) Le glacier qui est très-grand, a constamment avancé depuis 1816 jusqu'en 1827 ; ce n'est qu'en 1828 que son extrémité inférieure a paru stationnaire, c'est-à-dire, qu'il n' avançoit  pas plus que la bonne saison ne pouvoit faire fondre.
   **)   La contrée  de Bagnes est trés-intéressante pour le naturaliste.     Le géologue y verra des stratifications bien remarquables.    Voici ce qui nous a le plus frappé.
   Entre Martîgny et les confins de Vollège,  le rocher est primitif.    Suit du calcaire inclinant au midi d'environ  45°,   dans  lequel   des couches de gypse  se  trouvent  intercalées,   près des villages de Vollége,  du Cotés et de Fontenelle ; elles semblent traverser toute la montagne en suivant la stratification de la roche calcaire ; car on peut les  trouver à jour sur différents points,  en les poursuivant dans cette direction.  On les retrouve même du coté du Rhône.
   Au-delà du village du Chable, la roche primitive reparoît, elle repose sur la calcaire, inclinant également au Midi ; mais à mesure qu'on avance dans la vallée, les couches se redressent davantage et, à Fionney, elles paroissent verticales, d'où elles commencent à incliner dans le sens opposé.
   Au Cepi les couches de la roche verdâtre, que nous regardons pour primitive, inclinent fortement au Nord, elles reposent sur la calcaire et alternent même fréquemment avec lui.  On peut voir ce fait à Matzeria, sur la rive gauche de la Drance. Il semble qu'entre le Chable et le Cepi, une force interne a poussée la roche primitive hors de la croûte calcaire ; qu'elle s'est élargie par-dessus en recouvrant cette croûte , et même en s'intercalant à leur contact ; car au-dessus de Matzeria, vers les premiers rochers du Mont-Pleureur, on voit entre les torrents de Merdenson et du Châlet-à-Michaud une couche divisée en deux, dans laquelle entre une seconde en forme de coin arrondi à sa pointe.
   Le botaniste trouvera dans les champs de Bagnes : Cinosurus echinatus.  Vers Pierre-à-Voire :
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    Les voyageurs qui veulent examiner ces enceintes, doivent s'arrêter au petit village An-der-Egguen élevé sur des débris de cette nature. Ils monteront derrière ce village sur une élévation qui se trouve environ à 600 pieds de la route (voyez le point a sur le dessin ci-joint).  Ici une énorme  moraine se trouve partagée en trois ; la plus éloignée démontre clairement qu'ayant rencontré le mont opposé et ne pouvant plus avancer, le glacier s'est jeté sur ses flancs, déposant tout à l'entour une très-grande moraine (voyez N0. 1), par laquelle on peut encore juger que, dans l'endroit où la grande route du Simplon traverse le torrent de Wali (Walibach), le glacier avoit autrefois plus de 200 pieds d'épaisseur verticale.
    Poussées  moins  loin   que la première,   les   deux autres moraines ne se distinguent que de chaque côté de l'ancien glacier ; leur pointe a été emportée   par le torrent ou quelqu'autre cause.     Cette circonstance prouve que beaucoup de moraines furent détruites par des causes que nous ignorons, et qu'il ne faut pas s'étonner si l'on trouve beaucoup de glaciers où ces vestiges de leur ancienne grosseur ont complètement disparu.

Scutelaria alpina.    Au Frenjoley :  Geranium divaricatum.    Au-dessus de Courtier : Agrestema flosiovis, viola saxatilis.    A Matzeria : Fumaria fabacea, non loin de la neige.   Au Cepi : Saxifraga diapensoides.    Au-dessus du pont Mauvoisin : Betula nigra.    Sur le Mauvoisin : Ranunculus pyrenaeus et var.plantagineus ; Thlaspi montanum.    Vers  l'Oratoire: Arbutus alpina ; sisymbrium   tanacetifolium ;   saxifraga petacea   avec la  var.  Bellardi ; gentiana  hybrida.  En   Torrentbosse :   Serratuta alpina; sedum  anacampseros  et villosum ;   astragalus  leontinus et Halleri ;   ce  dernier   croît aussi en abondance au pied  du  glacier de  Cessetta avec  la Herniaria alpina.     A l'Alia : Saxifraga diapensoides ,  dans   les   rochers,  et carex microglochia, dans  les marais.    Plus haut; Potentilla minima,   d'une   grandeur  extraordinaîre ;   saxifraga  biflora.     Au  Giétroz  vis-à-vis   de  l'Alia :   Carex   bicolor ;   potentilla   nivea ;    draba  hirta ;   sisymbrium  acutangulum.      Sur   l'ancienne moraine du glacier de  Lire-Rotzo :   Potentilla frigida.     A  Tzanrion :  Lychnis alpina ; artemisia glacialis,   nivalis,   spicata;   arenaria recurva v.  hispida ;  gnaphalium pumilum, pussillum , leontopodeum ; Potentilla nivea ; Achillea nana; Pedicularis rostrata; Antherinum serotinum.     En montant au  col de Fenêtre:   T.  Arabis coerulea et serpolifolia ; Gentiana punctata ; Aira subspicata; Avena disticophylla.    Geum reptans dans les rochers du Cret.
L'entomologue rencontrera aux environs du glacier du Giétroz : Doritis delins et mnemosine ; une belle variété de Pontia callidice; Hipparchia aello, pitot, arachne, goante, gorge, manto, maestra, alecto , cassiope, melampus, pharte satyrion. Melitaea cynthia ; Argynnis dia, pales, euphrosine ; Lycena orbitulus , pheretes ; Zygaena exulans ; Lythosia ramosa ; Geometra turbata , etc.
   Le   conchiliologue ;    Helicomax vitrea de Ferussac;   une  belle  variété   de Helix arbustorum et  sylvatica ;   Hélix   holosericea ,   ruderata, cristallina,   montana ;   Bulimus   montanus ;   Clausilia fragilis , etc.
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    Une quatrième moraine se trouve encore tout près du glacier (sans compter les amas irréguliers de pierre que l'on trouve dans l'intervalle), elle est couverte de mélèses d'une petite taille, dont la glace a déjà renversé une grande partie *).
    De la moraine N° 1 jusqu'à la glace actuelle, il y a une distance d'environ 7000 pieds.
    On pourra nous objecter que ce glacier aura formé ces moraines par des chutes subites dont l'histoire fait mention. Il est incroyable qu'une chute puisse former des moraines si régulières. Ce n'est d'ailleurs point le glacier de Rosboden qui s'est écroulé, c'est celui de Gutschen qui, vers la fin du dernier siècle, s'est de nouveau écroulé et a couvert de glace les alpes de Gugguinen et la plaine de Gletsch. Les débris entraînés par ces chutes sont confusément dispersés dans la plaine.
    17.  Le glacier de Sirwolten a pareillement laissé sur sa gauche, dans la montagne de monsieur Theiler de Brigue, au-dessous de l'ancien hospice du Simplon, trois moraines non difficiles à distinguer. Elles se trouvent a une bonne lieue du glacier actuel, qui est situé sur la hauteur à côté d'un petit lac, dont les eaux ont la couleur du petit-lait, d'où vient le nom de Sirwolten-Sée et Sirwolten-Gletscher **).
    18. Sur la droite du glacier des Eauxfroides (Kaltwassergletscher), à environ trente pieds du glacier actuel, nous avons vu, en 1817, une ancienne moraine. Nous sommes sûr que le glacier n'a pu l'atteindre depuis ce temps-là.
    19. Le chalet de Lorenze situé près du chemin du Rawyl, commune d'Ayent, s'élève dans une plaine autrefois occupée par le glacier de Tenay, qui, dans ce moment, ne descend pas de la hauteur d'un rocher qui ferme ce vallon en forme d'amphithéâtre. On trouve une grande moraine couverte de hauts mélèses entre le dit châlet et le grenier du Rawyl. De la dite moraine au pied du glacier, il y a une forte lieue de marche, et une hauteur verticale. d'environ cinq cents pieds.
    20. Le glacier de l'Ossera dans la vallée d'Hermence a laissé de grandes moraines, dont la distance la plus éloignée se trouve à une forte demi-lieue de la glace actuelle.

     *)   Depuis 1822 ce glacier a abandonné une grande surface de terrain..
   **)   Sirwolte, signifie en Valais: du petit-lait.
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    Dans un tel accroissement il a rencontré un rocher en forme de monticule qui l'a presque partagé en deux.  La partie droite, étant la plus forte, s'est avancée sur un précipice, et a poussé une grande quantité de pierres dans le fond de la vallée. Cette partie a laissé sur sa gauche une moraine de plus de cent pieds de hauteur.   On voit à son bout divisé qu'elle a été déposée à différentes reprises. Le flanc gauche du glacier n'a pas tant avancé. La moraine est divisée en deux vers l'extrémité inférieure et se réunit, en s'approchant, du monticule.
    Sur la droite de la partie du glacier qui avoit atteint le précipice, la moraine correspondante est très-visible. Sur ce point de l'ancien glacier, on distingue très-clairement une seconde moraine qui n'a pas dépassé le précipice; elle entoure une jolie petite plaine d'environ 300 pieds de diamètre, couverte de verdure et devenue presque ronde, le vallon étant fermé dans la partie supérieure par un amas de pierres, qu'on prendrait, au premier aspect, pour deux moraines plus récentes, mais qui nous semblent plutôt être descendues des rochers qui dominent sur la droite de ce vallon. Au haut de cet amas de pierres, vers l'endroit où le glacier a eu de la résistance, il se trouve encore un autre tas de grosses pierres éparses, mais on ne peut distinguer si c'est une moraine plus récente, ou un éboulement de rocher.
    Du côté des chalets de l'Ossera, on voit des vestiges d'une moraine antérieure à celles dont nous venons de parler, et dont on ne peut suivre les traces.
    21. Au pied du glacier de Corney, même vallée, on aperçoit une moraine bien distincte, dont la gauche étoit fortement adossée contre un grand rocher qui se trouve sur la gauche du vallon. De ce rocher jusqu'au châlet de Métal,
on remarque un grand monticule allongé et terminé en arête. On pourroit le prendre pour une moraine. Dans ce cas, il y aura encore eu un second, glacier sur la droite du vallon, qui se sera joint avec le précédent. Nous ne prétendons cependant point que ce monticule soit une ancienne moraine, malgré l'apparence qu'il en a au premier coup-d'oeil *).
    Au-dedans de la moraine citée au commencement de cet article, il se trouve plusieurs amas irréguliers de pierres, également poussés par le glacier de Corney. Une troisième moraine se découvre sur sa droite ; elle descend environ 300 pieds plus bas que le glacier actuel.

   *) Les observations que nous avons faites depuis 1822, nous persuadent que c'en est réellement une.
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    22. Sur la gauche du glacier de Combâly, au-dessus des châlets de la montagne d'Alèva, même vallée, on distingue des moraines qui descendent environ 2000 pieds plus bas que le glacier existant.
    Un quart-de-lieue au-dessus des châlets d'Alèva, on trouve des débris qu'on prendrait pour une moraine déposée à l'extrémité d'un glacier. Il semble même que l'eau de ce vallon passoit autrefois sur le milieu de ces débris, et que des éboulements , descendus de la droite du vallon, l'ont jetée sur la gauche.
    De cet endroit, on monte pendant une demi-heure, en marchant sur une élévation terminée en arête, que l'on pourrait prendre pour la moraine gauche d'un glacier. On arrive ensuite vers un rocher dont la partie, que ce glacier aura atteinte, est totalement dépourvue de débris de pierres, tandis que le reste en est entièrement couvert.
    C'est au-dessus de ce rocher, que l'on voit distinctement les moraines, dont nous avons déjà parlé. Elles se trouvent dans un bassin qui a environ une lieue en diamètre.
    Si ce glacier est arrivé à un quart-de-lieue des chalets d'Alèva, ce qui nous paroît cependant très-probable, ce ne sera qu'après avoir comblé le dit bassin. Le glacier de Rosé, qui se trouve sur sa gauche dans la hauteur, s'y sera joint. Nous n'avons cependant point vu d'anciennes moraines autour de ce dernier glacier : phénomène que nous avons observé sur presque tous les glaciers, qui se trouvent maintenant dans des régions situées à 7000 pieds au-dessus du niveau de la mer.
    23. On voit aussi d'anciennes moraines auprès du glacier de Mortier, même vallée. Celle qui se trouve sur sa gauche n'est pas fort éloignée de la glace, et celles que l'on remarque à la base du glacier, en sont environ à trois cents pieds.
    24. L'extrémité du glacier d'Écolay, près du précédent, se trouve environ à 800 pieds d'une petite moraine, qu'on a de la peine a distinguer. Ce glacier entraîne peu de pierres, et là où il y en a le plus, elles tombent dans le torrent, de manière que la moraine ne peut se conserver. Sur le flanc gauche du glacier, on distingue facilement, au moyen de pierres éparses jusqu'où ce glacier s'étendit autrefois.  Sa source part du nord du mont Pleureur qui, avec le Giétroz, sépare la vallée d'Hermence de celle de Bagnes.
    Nous n'avons pas été près des glaciers de la Sale, de la Lincresse et du
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    Durant (lès deux derniers sont très-grands, situés au fond de la dite vallée); de loin nous n'avons vu de moraine que sur la droite du glacier de Durant ; mais celle qui s'y trouve, est à peu de distance de la glace.
    25.    Le châlet de la montagne de Tauno, au-dessus du village de Lugg,
vallée d'Anniviers, est situé dans un emplacement autrefois occupé par le glacier de Combavez, qui finit maintenant à environ 6000 pieds plus haut. Les moraines de ce glacier se distinguent très-bien tout autour de l'ancien glacier. On voit de loin que la gauche se divise en deux.
    26. Le glacier de Durant en Tzina, au fond de la vallée d'Anniviers, étoit autrefois plus grand qu'à présent. On trouve sur la droite de la Navisenche, qui sort de ce glacier, quatre moraines déposées sur un rocher qui retenoit ce glacier, et ne laisse qu'un passage étroit au torrent qui s'échappe par une crevasse d'environ cent pieds de profondeur.
    La plus éloignée de ces quatre enceintes se trouve à environ 300 pieds de la glace ; elle est couverte de mélèses d'une très-grande taille. Sur la seconde, les mélèses sont la moitié plus petits, la troisième n'en a point, et la quatrième, qui est la dernière, étoit, le 16 Septembre 1821, a six pieds de la glace.
    27. Sur la gauche du glacier de Mumin, qui se trouve sur la droite du précédent, on voit de loin une moraine que le glacier n'a pas encore atteinte.
    28. Nous avons vu, en 1815, sur le flanc gauche du glacier de Gorne (Gornergletscher), à Zermatt (Praborgne), vallée de Viège, et sur le même flanc de celui de Tzmut, d'anciennes moraines bien distinctes. Nous sommes sûr que ces glaciers ne les ont pas encore atteintes.
    29. Le glacier de Ried, près de St.-Nicolas, même vallée, descendoit autrefois une bonne demi-lieue plus bas qu'à présent.   D'après monsieur de Schallen, ancien président du dixain de Viège, on y peut encore voir plusieurs remparts déposés par la glace.
    30. Sur la gauche du glacier de Fiesch (Viesch), vis-a-vis de la montagne de Stock, au pied du mont Richiguer (Richigerberg), vallée de Conches, se trouve dans un enfoncement une moraine qui est beaucoup plus élevée que le glacier ne l'étoit en Septembre 1820 *). Cette moraine est cependant beaucoup trop basse pour correspondre à une seconde, située sur la gauche de la vallée de

   *) D'autres se trouvent environ à 1200 pieds au-dessous de l'extrémité inférieure de ce glacier : elles sont couvertes de buissons.
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Fiesch à 300 ou 600 pieds au-dessus de la plaine. Sur cette moraine sont bâtis les villages de Ried, Bodmen et Halten , qui appartiennent tous à la paroisse de Bellwald. La plus grande partie du village de Bodmen occupe la partie de la moraine, qui incline contre le mont Bellwald ; celui de la Halten se trouve vers l'extrémité de la moraine, a cette hauteur.
    D'après cette démarcation, le glacier de Fiesch doit avoir eu une dimension si démesurée, qu'il est impossible de s'en faire une idée sans avoir été sur les lieux, et ce n'est qu'après l'avoir examiné la troisième fois, et sous différents points de vue, que nous avons été convaincus de l'existence de cette moraine.
    Aussi c'est le seul endroit, où une ancienne relation indique, que les glaciers étoient plus grands autrefois qu'ils ne le sont à présent *).
    A Fiesch on dit que le dit glacier étoit venu jusque vers l'église ; d'autres assurent qu'il s'étoit même avancé jusqu'à Brigg, près de Lax. La moraine dont nous avons fait mention, ne lui donne pas cette dernière longueur, sa démarcation indique un surcroît de plus de 12,000 pieds et dépasse le village de Fiesch.
    Ce glacier a un énorme bassin dans la zone supérieure et doit avancer plus que ceux que nous avons cités jusqu'à présent, quand il survient un abaissement de température.
    31. Le glacier qui se trouve sur le Stralhorn, vis-à-vis le Fiescherbom, même vallée, a laissé dans le fond, vers sa gauche, une moraine éloignée de demi-lieue du glacier actuel.
    32. Le lac d'Aletsch ou de Maeryelen (Märjelensee) qui se trouve sous le glacier précédent, étoit autrefois totalement occupé par le glacier d'Aletsch. On voit encore du côté du Fiescherhorn, à une hauteur considérable, la moraine qui est restée au-dessus de ce lac qui, après avoir fait en Juillet 1820 une rupture à travers le glacier d'Aletsch, a laissé un bassin de 4833 pieds de longueur **).

   *) Nous pensons que cette tradition s'est établie par l'évidence de la moraine, car lorsque le glacier la déposa, la vallée de Conches devoit nécessairement être inhabitable ; donc , la tradition ne s'est pas communiquée de père en fils.
   **)    Ce  lac  a rompu  déréchef  en   1822   et en  1828.   Le   gouvernement  du  Valais   s'occupe maintenant à creuser un  canal  pour abaisser la surface de  l'eau de  douze pieds et à diminuer de beaucoup , par ce moyeu, le volume de l'eau.
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    33.  Messieurs de Saussure,  Gruner,  Wittenbach  et Ebel *),   célèbres naturalistes, ont observé avant nous que le glacier du Rhône, dans la vallée de Conches **), ceux de Grindelwald et de Lauterbrunnen dans le Canton Bern, et celui de Bois à Chamouni, étoient autrefois plus grands qu'à présent.
    On pourra nous objecter que ces glaciers auront augmenté depuis que ces savans ont fait leurs observations.    Nous n'avons cependant point entendu dire que le glacier de Bois ait atteint le chemin qui conduit du village du Prieuré à celui d'Argentière, et comme il y a tant de glaciers qui n'approchent pas encore de leurs anciennes moraines, nous ne croyons pas que ceux-ci en soient moins éloignés que les autres.
    34. En montant depuis Oberguesteln sur la Grimsel, l'on rencontre, avant d'arriver au petit torrent de Raeters, qui est à un quart-de-lieue du sommet du passage de cette montagne, les enceintes d'un glacier qui n'existe plus. Il partoit du Midi du Sidelhorn. (Ayant visité ce local une seconde fois, le 22 September 1826, nous n'y trouvâmes que quelques petits amas de neige). La gauche de la moraine est visible, depuis les rochers nus jusque sous le chemin de la Grimsel, où elle se divise immédiatement en quatre, sans compter d'autres petites inégalités.

   *)    De Saussure, Voyages dans le hantes Alpes, §. 541 et 623.
          Wittenbach, Beschreibung des Lauterbrunnenthales.    §. 14.
          Ehels Anleitung die Schweiz zu bereisen.    §. Grindelwald und Furca.
    **)   Le 22. Sept. 1836 nous  avons visité ce glacier.    Voici les distances,   mesurées au pas, que nous avons trouvées entre les anciennes moraines et le glacier :
    La moraine la plus éloignée du glacier s'adosse contre un rocher, formant un monticule, sur lequel sont construits les châlets de la montagne. Elle présente une grande largeur, sur une hauteur d'environ vingt-deux pieds. Du bord intérieur de cette première enceinte , jusqu'au milieu, d'une seconde, nous avons trouve une distance de trente pieds. De celle-ci à une autre, presque imperceptible, quarante-cinq ; de-la à une plus grande, quatre-vingt-dix ; de cette quatrième à une suivante qui a environ dix-huit pieds de hauteur, deux cent quarante-trois pieds. Tout près de celle-ci on en rencontre une petite, que nous avons comprise dans la distance de la suivante, qui a cinq pieds de haut, et se trouve à deux cent quarante pieds de la grande. Sur la droite de la vallée, cette moraine se divise en trois ou quatre jusque vers le milieu. De cette moraine à une autre , de quatre pieds de hauteur, quatre-vingt-dix pieds. Celle-ci forme une suite de moraines entassées irrégulièrement les unes contre les autres, sur une longueur de trois cent soixante pieds, s'élevant presque insensiblement à la hauteur de vingt pieds et plus. Cet assemblage d'une quantité de moraines décrit un arc et le réunit, sur la droite, à la dernière, sans atteindre le pied de la montagne. Ici le Rhône s'échappe du glacier, en traversant la dernière enceinte que celui-ci a formé ; puis, il suit la précédente jusqu'au milieu de la plaine où il la coupe comme toutes les autres.
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    Non loin du chemin se trouve un granit dresseé comme une colonne, et qui se sera placé ainsi en tombant dans une fente qui alloit jusqu'à terre. Du moins nous ne connoissons point d'autre événement naturel qui ait pu le placer ainsi.
    Une seconde moiraine se trouve environ à cent cinquante pieds au Levant de la précédente et ne descend pas si bas qu'elle. On arrive à son extrémité inférieure par un contour que le chemin y fait. Après l'avoir gravi, on rencontre une petite plaine, et l'on marche pendant quelque temps sur le lit de cet ancien glacier.
    Il est aisé de juger de la largeur du sol qu'occupa ce glacier par les rochers qu'il mit à nu, sur lesquels on ne trouve que quelques foibles gazons, tandis que les environs sont couverts d'une grande quantité de débris de rocher, de gravier, etc.
    De ce lieu nous avons cru distinguer des remparts d'un second glacier qui se seroit trouvé a un quart-de-lieue au Couchant de celui-ci ; mais nous n'eûmes pas le temps de nous y rendre.
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    Nous voila à la fin de rénumération des glaciers qui n'existent plus, ou qui jadis étoient évidemment plus grands qu'a présent. Nous sommes sûr que


    Depuis l'endroit, où le Rhône traverse cet amas de moraines, jusqu'à la plus récente, la distance est de trois cents pieds. Sur la gauche du centre du glacier, celle-ci laisse entrevoir qu'elle en avoit couvert une plus ancienne: puisqu'on y voit encore le gazon.
    Ce jour-là, la glace étoit à dix pieds de la dernière moraine. Sur la gauche du Rhône, parcontre, cette distance est de quelques cents pieds. Celle circonstance, nous l'attribuons aux variations qu'éprouve le Rhône à la sortie du glacier, et que les cailloux, qu'il entraine dans sa course, jettent tantôt d'un côté, tantôt de l'autre, en sapant le glacier par sa base et en le détruisant dans une proportion plus forte sur cette place qui n'offroit pas les mêmes  avantages, lorsque le glacier étoit plus grand.
    Par ce que nous venons de dire,  il résulte :
   1)   Que, le 22. Septembre 1826, l'extrémité  inférieure du glacier étoit à  mille quatre cent huit pieds de la première moraine reconnaissable , que l'on rencontre en montant.
   2)   Qu'à  cette époque,  il y avoit neuf moraines très-distinctes.
   3)   Que plusieurs de ces enceintes ont été formées à différentes reprises, c'est-à-dire, qu'après avoir diminué pendant quelque temps, le glacier est quelquefois venu augmenter des moraines qu'il avoit formées ci-devant.
   4)   Que les distances d'une moraine à l'autre sont inégales , ainsi que leur grandeur respective prouve que les époques auxquelles leur formation fut séparée, se trouvent inégales, de même que le degré du refroidissement.
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dans le seul Canton du Valais, on en trouveront encore autant avec des moraines aussi frappantes que celles que nous venons de citer, si l'on avoit le temps de parcourir toutes les vallées latérales de ce pays.
    Nous avons vu plusieurs glaciers où nous n'avons trouvé vestige de cette sorte de dépôts ; tels sont les glaciers de la Neuva et Planereusa, dans la vallée de Ferret, celui de Hautemma à Bagnes, les glaciers de Rosé, de Praflory, de Darbonaire, de Jodry et de Merdery dans la vallée d'Hermence, etc.
    A quelques-uns de ces glaciers, comme a Tzanrion, en avant de celui de Hautemma, on trouve quelquefois des pierres éparses d'une espèce qui n'appartient pas aux rochers du lieu. D'autres se trouvent sur des hauteurs, où les débris, que les glaciers poussent devant eux, ne peuvent résister long-temps aux avalanches. Enfin, qui peut connoître toutes les causes, qui tendent à détruire ces anciens monuments du refroidissement ?  et combien n'en trouveroiton pas encore, s'il ne s'offroit aux yeux du naturaliste, qui parcourt ces lieux, tant d'autres objets intéressants qui l'occupent tellement, que ces collines plus ou moins visibles se dérobent à son oeil scrutateur ?
    Combien n'est-il pas de petits lacs sur les montagnes, qui seroient probablement remplis de terre et de pierres, si jadis les glaciers ne les a voient pas nettoyés ?
    Nous avons en plusieurs endroits rencontré des glaciers, où ces moraines ont encore paru reconnoissables, quoiqu'il soit difficile de les distinguer ; comme au pied droit du glacier de Belaval sous l'enclave du Mont-Jovet en Tarantaise, au fond et entre les glaciers de l'endroit appelé les glaciers, même pays; à la base du glacier de Montdolin, dans la vallée de Ferret en Valais; au glacier d'Eudone venant des Diablerets ; sur le Sanetsch, où la moraine paroît sur la gauche à environ 5000 pieds de la glace entre laquelle les rochers sont nus jusqu'au glacier. Du côté de Châtelet (Steig) sur la hauteur du Sanetsch, il se trouve sur la gauche d'une combe, dans laquelle, au mois de Septembre 1820, il n'existoit plus qu'un très-petit amas de neige, une élévation qu'on pourroit prendre pour une moraine.
       En examinant sur cette montagne le Plan-Germandre et les monticules sur sa gauche, on sera porté à croire, que le petit glacier du Creux aura occupé cette plaine. Aussi les monticules et les amas de pierres, qui se voient à l'entrée du vallon de ce glacier, semblent des moraines, puisqu'au-dessus d'eux
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le rocher est totalement ballayé jusqu'au glacier. Les châlets de la montagne de Genièvre, situés entre le glacier et le Plan-Germandre, ont cependant été écrasés par une chute de rocher venant de la gauche du vallon.
    Il en est de même du glacier de Trient, où le village et la chapelle de ce nom paroissent être bâtis sur des moraines des ce glacier *).
    Presque vis-à-vis d'Obergestlen, vallée de Conches, commence le vallon d'Éguinen (Eginenthal) par lequel deux passages conduisent en Italie, en se dirigeant par le Gries et le Luvino.
    Au pied de la montagne, dans laquelle se trouve le dit vallon, au Couchant du village Zumloch, on voit trois différentes élévations semblables à celles des moraines, qui doivent leur origine, ou à des débordements del'Éguine, ou à un glacier.   Sur la droite de ce vallon, à une hauteur très-considérable (300 à 350 pieds au-dessus du torrent), on remarque un grand dépôt de pierres, formant, avec le fond de la vallée, une ligne parallèle tout-a-fait semblable à celle d'une moraine. Ce lieu mérite d'être mieux examiné, car le glacier d'Éguine est à deux lieues de l'endroit que nous venons de citer **).
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    Par les faits assignés dans ce mémoire, les traditions contradictoires, dont les unes font présumer un refroidissement sur différentes parties du globe, par exemple, en Angleterre où la culture des vignes a dû être abandonnée, tandis que selon les autres, la Baltique et la mer Noire ont été complètement gelées ***), viennent d'être confirmées d'une manière bien remarquable.
    D'un côté vingt-deux observations,  plus ou moins constatées,  tendent à prouver un abaissement considérable de la température; de l'autre, plus de trente-cinq faits bien avérés semblent démontrer son élévation.
    Il paroît donc certain, que la température s'élève et s'abaisse périodiquement ; car les faits contradictoires, qui se rencontrent dans un même lieu, comme au Col-de-Fenêtre, à celui qui est entre Praborgne et Hérens, sur le Simplon

   *)   Les observations que nous avons faites depuis 1822,  nous assurent que ce sont réellement des moraines.
   **)   Des observations postérieures nous prouvent que ce sont réellement des dépôts de glacier.
   ***) Nous nous proposons de faire sous peu un mémoire, par lequel nous tâcherons de prouver qu'elles l'ont été en effet.
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et sur le mont qui sépare Fiesch de Grindelwald, où se trouvoient des passages fréquentés *), tandis que les glaciers du Col-de-Fenétre, du Montdurant, du Rosboden, de Tzmut, de Fiesch, du Stralhorn et d'Aletsch étoient beaucoup plus grands qu'à ce jour **), ne peuvent dater de la même époque.
    Il est également probable que l'époque, où la température de la Suisse étoit bien plus élevée que celle de nos jours , est séparée par un grand nombre de siècles de celles qui nous ont laissé des traces d'un si grand refroidissement, et dont souvent nous retrouvons plusieurs preuves devant un seul glacier.
    Les forêts que nous avons trouvées sur les moraines de plusieurs glaciers, leur âge, les arbres fruitiers et les ceps de vigne, dont nous avons fait mention dans ce mémoire, nous serviront à appuyer cette hypothèse ; car il faut beaucoup  de temps avant que les forêts puissent croître  sur une moraine nouvellement formée, avant que des noyers se soient élevés au point qu'on puisse mettre un impôt sur leur produit, et qu'on n'ait presque plus de souvenir de leur existence.     Aussi les ceps de vigne  vivent long-temps   après  l'abandon de leur culture.
    Nous ne doutons nullement, qu'il ne soit survenu plusieurs époques, où    notre climat étoit beaucoup plus froid qu'à présent ; comme nous ne doutons   pas non plus qu'il n'y en ait eu de celles, où il étoit considérablement plus chaud, et que la température s'élève et s'abaisse périodiquement. Mais quelle est la marche de ces périodes? quelles sont les causes qui en produisent le changement ? Les faits qui indiquent une élévation de la température, sont-ils plus anciens que ceux qui prouvent le contraire? Voilà des questions sur lesquelles nous ne pouvons établir que des hypothèses.
    Les données nécessaires pour déterminer la marche de ces diverses époques, dont les faits, que nous venons de citer, indiquent une si grande dîfférence de température, nous manquent tout-a-fait.    Ce n'est que par des observations exactes et suivies, que l'on pourra peut-être parvenir à la fixer approximativement.  Il seroit surtout important d'observer,   combien il  faudroit de temps, avant que les arbres commencent à croître sur les nouvelles enceintes des glaciers, par exemple, sur celle du glacier de Prenva dans l'Allée-Blanche,

    *)   Voyez II, IV, VI, X et XI.
    **)   Voyez les numéros 11 , 12, 16, 17, 28,    30, 31 et 52.   Les trois  derniers glaciers sont sur le même passage interrompus.
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où la glace a renversé en 1820 des arbres de deux cent vingt années et de plus vieux encore. En ajoutant ce temps à celui qu'il a fallu à l'accroissement des plus grands arbres, qu'on trouve sur les moraines, on aura peut-être, à-peu-près, celui qui s'est passé depuis la formation d'une telle moraine, surtout si l'on trouve dans les forêts voisines de plus vieux arbres; et comme il y a des glaciers auprès desquels on rencontre plusieurs de ces moraines, peut-être trouveroit-on la différence de leur âge.
    La grandeur des moraines peut aussi servir à nous indiquer approximativement le temps qui s'est écoulé depuis le dépôt de l'une a celui de l'autre.
    Partout où nous avons vu plusieurs moraines devant un seul glacier, celle  qui se trouve la plus éloignée du glacier, est la plus grande. Comme tous les débris tombés sur un glacier avant la formation d'un tel rempart peuvent presque s'y trouver réunis, elle ne nous servira qu'à indiquer approximativement le temps qui s'est écoulé depuis une catastrophe quelconque, par laquelle les montagnes ont été nettoyées de leurs débris *).
    Il est probable que les rochers d'une montagne quelconque se décomposent a-peu-près dans une égale proportion ; on   peut  par conséquent,   au moyen de leur grandeur, juger approximativement de l'intervalle des temps entre la  formation de ces différentes moraines, si l'on peut connoître celui qui s'est écoulé depuis l'avant-dernière à la dernière.
    Ici l'histoire, les écrits et même les traditions populaires peuvent nous servir.  Il seroit donc à souhaiter que Messieurs les Naturalistes y donnassent quelque attention.     En attendant, on peut juger par les différences de ces moraines, que la marche des époques qui les produit est irrégulière.
    Les causes de ces changements de température nous sont encore moins connues, puisque les calculs astronomiques ont prouvé que les variations de la pression de l'écliptique ne sauroient les produire.
    L'accroissement ou la diminution des forêts nous semble d'une influence trop foible pour produire ce changement de température.    Les forêts ont diminué depuis trois siècles, et la température s'est abaissée en même-temps ; la destruction des forêts devroit donc produire un refroidissement, tandis qu'en Amérique  leur existence raffraîchit le climat **), ce qui est contradictoire.


    *)   Nous nous proposons de revenir a ce sujet dans un autre mémoire.   **)   "Si la partie du nouveau monde, qui est située entre les Tropiques, n'a pas de Nègres,
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    En supposant même, que les forêts puissent influer sur la fonte des neiges et des glaciers, il en résultèrent qu'elles auroient dû être détruites et rétablies chaque fois que ces grandes variations de la température ont eu lieu ;   cela    n'est cependant pas probable.
    Quant aux faits qui indiquent une élévation de la température, nous croyons  qu'il y en a qui sont antérieurs,   et d'autres qui sont postérieurs à ceux qui indiquent son refroidissement    Telles sont les moraines du glacier de Rosboden sur le Simplon.    Celles que la grande route traverse, nous paroissent plus anciennes,   que l'époque où la température étoit beaucoup supérieure à celle de nos jours ; car à cette époque le Simplon devoit être complètement fermé.   Parcontre les plus rapprochées du glacier semblent être des derniers siècles, puisqu'il est possible que des vents ou d'autres causes locales puissent produire de petites variations.
    Le chemin de Domo-d'Ossola à Brigue passoit autrefois par Varzo, Trasquéra, Frassinodo (Alpien) et le Simplon (les trois derniers villages se trouvent à-peu-près sur une égale hauteur).     A Frassinodo il existe encore une remise pour le dépôt du sel et des marchandises.   Il est probable que ce n'est que depuis l'invention de la poudre, qu'on a évité Trasquéra et Frassinodo,  en passant par Gondo.
    Selon monsieur le lieutenant-colonel Perrig de Brigue,   on voit encore sur   la montagne du Simplon trois millésimes taillés dans le roc,  indiquant les changements qu'on a faits à ce chemin.    La plus ancienne date est de 1312, l'autre de 1557 et la troisième de 1758.   Il paroît que, depuis un temps immémorial, ce chemin a toujours traversé  le petit village An-der-Egguen ; car on ne voit nulle part de traces qui puissent indiquer le contraire.    Ces traces se feroient remarquer si le cas fût arrivé ; car partout où le chemin a été changé, on en découvre encore les anciennes.
    Les bâtiments de ce village et une chapelle sont cependant établis sur les dites moraines ; elles paraissent donc être antérieures a l'époque où le chemin passoit par Trasquéra et Frassinodo, époque qui nous a laissé des indices d'une si haute température.

    "c'est que la chaleur du Péron est de 15° inférieure  à celle du Sénégal, diminution qu'il faut , attribuer au nitre de l'humus américain ,  aux vapeurs imprégnées de sel marin et surtout aux forêts immenses dont ce continent est surchargé. "   Recherch. philos. T. 1. seconde partie, sect. I.
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    Voici de quelle manière nous tâcherons d'appuyer cette hypothèse :
    La cloche de Grindelwald *) venant de la chapelle de St.-Pétronille, jadis située à côté du chemin qui conduit a Fiesch, date de 1044. Les passages de Saas à Antrona et Macugnaga étoient déjà en 1410 très-antiques **), et le Simplon a éprouvé un changement en 1312. Il est à présumer que les passages des hautes alpes, dont nous avons fait mention dans ce mémoire, étoient tous ouverts à la même époque.
    D'après M. Zurbrigguen, ce n'est que dans le commencement du dix-septième siècle que les passages de montagnes sont devenus difficiles. Il ne dit cependant point qu'ils aient été interceptés ; et ce n'est que dans le dix-huitième siècle qu'ils sont devenus inaccessibles aux chevaux. Mais comme la plupart des moraines dont nous avons parlé, indiquent un froid bien plus intense que celui de nos jours, il nous semble que l'histoire en devroit faire mention, si ce temps froid étoit arrivé à cette époque; puisque, dans ce cas, les chemins dévoient être alors encore plus fermés qu'aujourd'hui.
    Nous sommes donc en quelque manière autorisés a croire :
1)  Que les moraines qui se trouvent à une distance considérable des glaciers, datent d'une époque qui se perd dans la nuit des temps.
2)  Que les faits que nous avons cités pour prouver un abaissement de température, sont plus récents que les dites moraines.
3)  Que celles qui se trouvent près des glaciers peuvent être des deux derniers siècles.
4)  Que la température s'élève et s'abaisse périodiquement, mais d'une manière irrégulière.
5)  Que ; selon les apparences, le refroidissement de cette époque est arrivé à son terme.
6)  Que les glaciers parviendront difficilement à la hauteur gigantesque, dont nous trouvons tant de vestiges, et que nous pouvons nous tranquilliser sur l'extension présumée de la région des glaces en général.

   *)  Voyez VI dans ce mémoire.
  **) Voyez VIII.

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